Damien Manivel signe peut-être l'ultime film d'une trilogie secrète, car du Jeune Poète à Takara ses films tendent vers toujours plus d'épure tout en balançant plus ou moins discrètement du côté du burlesque. Le jeune poète éponyme était drolatique à souhait par sa volonté touchante et maladroite d'atteindre les sommets de l'Art, et c'est par hasard que la grâce venait parfois à sa rencontre, faisant surgir la Beauté aussi bien dans le corps éreinté d'une personne ivre la nuit que sur un banc au soleil. L'allure chaplinesque du petit Takara engoncé dans ses vêtements d'hiver nous rappelle la démarche du poète en tongs. Mais contrairement aux personnages des films précédents (et cela comprend également l'adolescente éprise d'Amour du Parc), l'enfant ne cherche pas d'absolu. Son innocence le guide vers quelque chose de bien plus concret, la présence d'un père absent. Et sa rencontre avec la beauté du monde n'est plus du tout le résultat d'une recherche, d'une détermination adolescente, mais le pur produit d'un regard innocent guidé par le hasard. Le film prend en effet la forme d'une déambulation à l'esthétique minimaliste, comme une invitation à se défaire de tout ce qui encombre nos représentations, comme une odyssée dont le retour à Ithaque serait de retrouver la vision épurée, originelle, du réel. Après l'adolescent en quête de poésie, l'adolescente assoiffée de grandes émotions, c'est la figure de l'enfant qui, dans le cinéma de Damien Manivel, nous prend par la main pour que l'on s'attarde avec lui devant les plus infimes expressions des nuances et coïncidences du hasard. C'est là que semble se dégager l'essence du travail de ce cinéaste, un projet au long cours de micro-documentaire sur des corps, des choses, du pas grand chose à l'ampleur significative et expressive monumentale pour qui sait le voir.