Récemment sélectionné au Festival de Cannes ce film avait retenu mon attention par sa bande annonce et ses quelques extraits mystérieux, de plus Matteo Garrone restait sur un très bon ressenti de ma part suite à son Gomorra en 2008, Tale of Tales est d’ailleurs son premier projet visant l’international avec une production franco-britannique et un casting quatre étoiles, tout était donc réuni pour se rapprocher d’un certain aboutissement …
Le film est construit comme un recueil de contes s’entremêlant dans un univers féerique, fantastique et baroque, celui du destin d’une reine (Salma Hayek) obsédée par son désir de devenir mère pour ensuite séquestrer son enfant de peur qu’il ne la quitte, d’un roi libertin (Vincent Cassel) s’éprenant d’une vieille femme ayant retrouvée une seconde jeunesse et d’un autre souverain (Toby Jones) élevant en secret une puce géante puis laissant sa fille dans les bras d’un ogre.
Garrone retranscrit formellement un background enchanteur avec une grandiloquence somme toute modeste, les décors et costumes séduisent d’entrée, c’est sans doute la plus belle réussite du film, l’aspect merveilleux semble vraiment sorti directement d’un imaginaire littéraire, le visuel est majoritairement au service du récit, phénomène assez rare. Il y a d’ailleurs une belle palette de nuances pour marquer les tons apportant une fluidité au visionnage, chaque séquence garde une identité et le tout évite l’uniformisation pouvant se révéler barbante. Les 2h10 sont savamment remplies et contrairement à mes craintes l’ennui ne se fait jamais ressentir, l’immersion se fait naturellement, comme plongé dans un album de fables entre Perrault et les frères Grimm (à noter que le film est bien une adaptation, celle de Pentamerone de Giambattista Basile publié entre 1634 et 1636).
Cette fameuse modestie quant à le gestion de l’univers permet au film de délivrer une sincérité avouée concernant le déploiement de ses fragments, la mise en scène de Garrone propose quelque chose d’intéressant en phase avec des cadres soignés, les quelques effets numériques utilisés pour la modélisation de créatures fantaisistes ne servent pas à nous en mettre plein les yeux, ça n’est pas son but, on est loin de la vulgaire Terre du Milieu de la dernière saga du Hobbit, et ça fait du bien. Toute la mythologie qui entoure les personnages reste assez charmante et fascinante, les acteurs s’emploient à rendre ces histoires attrayantes tout en tentant de distiller de l’émotion pour créer une véritable alchimie relevant presque de la prouesse, et c’est ici que le bas blesse quelque peu car malgré un rythme correct l’enchevêtrement des contes manque parfois de cohésion et apparait de temps à autre comme déroutant, avec une curieuse sensation de stand by.
Les thématiques se rapprochent et gravitent au plus près des métamorphoses, qu’elles soient physiques ou morales, de la reine noire se transformant en chauve souris matriarche, de cette fragile Violet se muant en tueuse suite à l’abandon de son propre père, de cette vieille femme retrouvant par miracle une seconde jeunesse délaissant lâchement sa pauvre sœur par cupidité, les destinées des protagonistes n’aboutissent qu’à une certaine vision pessimiste voire funeste de l’être humain, de ses ambivalences. De ce fait la noirceur de l’œuvre qui se devait légitimement de transparaitre n’est cependant que trop peu retranscrite dans son atmosphère, là où Garrone s’applique à filmer l’infilmable, à adapter l’inadaptable, il en oubli la résonance sensitive entre son ambition formelle et cette tentative de raconter une/des histoire(s), ce qui fait que l’émotion ne traverse pas l’écran, et c’est bien dommage car tous les ingrédients étaient à disposition.
En définitive Tale of Tales reste un film franchement plaisant mais manquant tout de même de cohérence artistique, le projet était sans doute beaucoup trop gros et arriviste pour accoucher d’un chef d’œuvre, mais force est de constater que le réalisateur italien ne passe vraiment pas loin du tour de force, son abnégation à s’employer à rendre une ambiance subtilement majestueuse tout en dirigeant ses acteurs avec brio fait que son projet jouit de qualités indéniables. Carrière à suivre.