Journal d'un fou

Voilà un film des plus étranges et que je ne sais pas trop comment noter. Je comprends aussi bien ceux qui l'admirent que ceux qui le rejettent inconditionnellement. A priori, je serais plutôt du côté de ceux qui apprécient la démarche, mais sans vouloir pour autant que cela se propage et ne devienne un genre à part entière.
Ce film, cet objet filmique pour être plus précis, est en effet particulièrement...particulier. Tarnation se présente comme une compilation incandescente de vingt années de journal filmé. Vingt années pendant lesquelles Jonathan Caouette s'est filmé et a filmé sa famille, le tout dans des situations parfois peu glorieuses.
Mais attention, tout n'est pas monté par hasard. Il y a un situation de départ, un déclic, qui devient une sorte de fil conducteur : sa mère. Le fil débute lorsque Jonathan Caouette apprend que sa mère est hospitalisée, une fois de plus. On assiste alors à une réaction pratiquement charnelle, et le reste du film relatera plus en détail le lien particulier qui unit le fils à sa mère. Cela donnera, de très loin, les scènes les plus émouvantes, et aussi les plus pudiques.

Tarnation est donc centré sur deux personnages : Renée, la mère, et Jonathan lui-même, le cinéaste auteur de ce projet cinglé. Un gamin à l'adolescence complètement éclatée. Il raconte comment, ado, il avait fumé deux joints et ne s'en était jamais remis ; depuis, il a l'impression de vivre dans un cauchemar permanent. C'est sûrement un peu de ce cauchemar qu'il tente de nous faire revivre, surtout dans la première moitié du film. Il force sur les effets visuels et les images chocs, obligeant ses spectateurs à faire une plongée impudique dans une vie qui est un immense malaise. Force est de constater que ce malaise est contagieux : on ne sait plus trop quoi penser. J'avoue que j'étais tiraillé par l'envie d'arrêter le film. Et, en même temps, il y a quelque chose de touchant, d'émouvant, une émotion brute, jamais vue jusqu'alors. Quelque chose que je n'avais jamais ressenti sur grand écran.
Et c'est là tout l'aspect complexe de Tarnation. Quelle attitude adopter face à un tel film ? Visiblement, il est impossible de rester un spectateur inactif et neutre; Jonathan Caouette prend aux entrailles. Mais, en même temps, son projet frôle le haïssable : l'étalage sur grand écran de sa vie dans ce qu'elle a de plus personnel, de plus intime.
C'est la seconde moitié du film, plus calme, plus reposée, plus sereine presque, qui m'a raccroché à Tarnation. On comprend alors que le film est le portrait d'un jeune homme en quête d'identité (une identité sexuelle, entre autre), un jeune homme perturbé par une vie de famille hors du commun (et qui ne le serait pas dans un cas similaire ?). On assiste à une mise à nu aussi bien physique que psychologique, souvent douloureuse, mais unique.
Et, pour ne rien gâcher, le film se double d'une critique sans précédent de l'Amérique, entre alcool, drogue, folie, marginalité, etc. ans parler d'un système de santé (mentale, ici) totalement aberrant.
Pour finir, je ne peux, bien entendu, absolument pas recommander ce film. C'est une expérience de spectateur. Je ne suis même pas sûr de pouvoir la recommencer.