Comment parler de Taxi Driver sans tomber dans l’éloge pure et simple ? C’est difficile, très difficile, d’une part parce que le film est culte, mais aussi parce que son statut d’œuvre culte, il ne l’a pas volé justement. Taxi Driver est un film sombre, poisseux et pourtant fascinant. Il fait partie intégrante du cinéma.
Alors qu’à l’époque il n’avait à son actif que Mean Street et Alice n’est plus ici, (Bertha Boxcar étant une commande et Who’s that knocking at my door ayant fait un bide), deux succès qui ne l’ont pas pour autant révélé auprès du grand public, Martin Scorsese se voit choisit pour réaliser Taxi Driver, après les bonnes recommandations du scénariste Paul Schrader auprès des producteurs. Alors qu’il n’était pas pressenti au départ, on remercie donc chaudement Schrader.
Ainsi Taxi Driver débarque en salle auréolé de la Palme d’Or Cannoise et flanqué de Robert De Niro, qui signe d’ailleurs ici sa seconde collaboration avec le réalisateur. Le film est un succès, et à raison parce qu’il met en exergue tout ce que le peuple pense tout bas à l’époque. Autant dire que le film est très singulier, Scorsese s’approprie le scénario de Paul Schrader pour rendre cette histoire aussi fascinante qu’onirique. Avec la figure de l’anti-héros portée par Robert De Niro, Taxi Driver prend des allures de récit prophétique sur un rêve Américain qui s’effondre petit à petit, gagné par le crime. A travers le regard de Travis au détour de ses courses comme chauffeur de taxi, qui observe ce New York tant aimé par le réalisateur, devenir un triste écrin de vice, sombre et froid.
On le sait l’un des thèmes forts de Martin Scorsese c’est son rapport à la religion, et si il est vrai que le réalisateur nous laisse le soin de nous faire notre propre opinion sur les convictions du personnage de Travis Bickle, sans nous les assener à la figure comme des paroles d’évangile, on note néanmoins de grosses références à la Bible. Bien amenées ces dernières viennent renforcer la psychologie du personnage principal. Travis s’apparente beaucoup à une sorte de messie qui agit seul dans l’ombre afin de libérer les habitants de New York du mal qui s’en empare. New York ici décrite comme une métaphore moderne de Sodome et Gomorrhe. Pourtant dans toute cette noirceur se dresse l’amour inconditionnel que porte Scorsese à la ville qui ne dort jamais. Lui qui a dit bien plus tard que New York était pour lui le centre du monde, prend beaucoup de recul pour exprimer à l’image tout l’amour qu’il lui porte. Il l’aime toute entière, bonne ou mauvaise.
Ainsi la mise en scène vient offrir de superbes séquences, inventives et impressionnantes. Aux plans panoramiques ou plus rapprochés dans l’intimité du personnage principal se succèdent des plans séquences soignés. Certaines scènes marquent instantanément tant la technique les sert à merveille, le climax du film est d’ailleurs très fort grâce à tout cet ensemble combiné, jeux d’acteurs, cheminement et mise en scène, sans oublier le travail exceptionnel sur la lumière et les couleurs, surtout dans cette séquence. Bernard Herrmann, celui qui a officié chez Hitchcock, signe ici une bande-originale tout à fait particulière, qui sied très bien au récit et à la descente aux enfers de Travis. Lancinante et lugubre.
Pour servir tout ça il faut bien entendu un casting convaincant, fort et solide de surcroit. Autant dire que Robert De Niro excelle à l’écran, il parvient à composer un personnage aussi bouleversant que dérangeant, lui donnant ce côté « chien-fou » caractéristique. Bien plus en retrait mais pas non plus négligée pour autant, Cybill Shepherd s’avère convaincante également, idem pour Harvey Keitel. Bien sûr Jodie Foster, alors seulement âgée de douze ans, démontre déjà un certain talent et nous gratifie d’une bonne prestation, elle symbolise l’innocence, l’éclair de lucidité dans ce monde fou, la motivation de Travis à agir.
Taxi Driver est un film grandiose, pas dans le sens où il impressionne à l’image, mais grandiose tant il est le fruit d’une maîtrise et d’un amour inconditionnel du réalisateur pour son sujet. Scorsese s’approprie le scénario de Schrader pour rendre l’histoire de Travis Bickle aussi forte que dérangeante et fascinante. Taxi Driver est bel et bien un pur objet de cinéma.