Troisième film et documentaire de l'américain Peter Bo Rappmund (après Psychohydrography), Tectonics est une compilation d'images diffusées en time-lapse. La séance serait rigoureusement contemplative s'il n'y avait la volonté d'étayer un propos sur la frontière, avec la prétention déclarée d'en poser les « metaphysical quandaries » (via le synopsis). La séparation entre le Mexique et les États-Unis devient le support particulier d'une démonstration globale, gonflant d'ambitions intellectuelles la simple mais remarquable enfilade de paysages.
Certaines scènes en plus d'être en accéléré sont également multipliées. Par exemple, quelques dizaines de secondes d'allers-et-venues d'une bande de mouettes sur la plage, présentées en accéléré ; mais nous y passerons néanmoins le temps réel, puisque la même séquence est reproduite plusieurs fois. Pas de paroles ou dialogues (ou alors lointaines, indistinctes), juste les bruits traînant dans les scènes filmées ; ou d'autres sons, du vent ou de la ville, strictement post-synchronisés ; extraits ambient monomaniaques quelquefois ; grognements décalés ou chants lointains, pourquoi pas.
À cheval entre photographie et cinéma, le film suit le cours des fleuves ou du ciel, montre ce qui renvoie à la notion de frontières ; mais le sens qu'il y a, ou qu'il y aurait, à en tirer ne vient pas d'un discours ou de propriétés propres à ces objets ou ces paysages ; ni, c'est le problème, à la mise en scène. Montrer un camion 'border patrol' et les grillages de la tortilla border, par fragments de surcroît, ce n'est pas réfléchir un sujet. C'est bien tout Tectonics : des aperçus issus de la réalité, subvertis par une poésie graphique, elle-même corrompue par cette idée de 'make sense' comme s'il allait tomber des nues parce qu'on le trouve joli et légitime.
Bien sûr Rappmund choisit ce qu'il montre, peut-être guidé au maximum par l'instinct ; mais en-dehors de l'indispensable sélection, il ne dresse pas de pistes claires. Il laisse faire ceux qui verront : à tous les coups chez les bénévoles enthousiastes, la turbine à projections va chauffer. Deux grandes possibilités à l'arrivée : soit Rappmund se place en aspirant Sokourov (Le Soleil, Élégie de la traversée), ou en mode Tarkovski dirigeant Stalker ou Le Miroir (déjà lui-même surcoté pour ça, mais pour d'autres raisons et pour un engagement plus profond) ; sot il repose sur une multitude de références pour initiés au monde de la photographie. Auquel cas, il 'parle' aux férus de ce 8e art (en fait une extension moderne et post-moderne du 3e) ; et 'make sense' pour ceux-là.
Néanmoins là encore, rebondir sur des clins-d'œil c'est recycler des représentations plus sûrement qu'en créer ou tisser une thèse digne de ce nom. Pourtant la richesse du film est déjà là, transparente et aussi un peu prosaïque ; mais pourquoi en faire une gêne, pourquoi ne se suffirait-elle pas ? Cette richesse c'est la beauté visuelle pure et souveraine, toutes ces vues ensoleillées, à l'air libre, ou ces prises incongrues ; Tectonics c'est l'impressionnisme à l'ère Instagram. Le talent qui se savoure pour le moment est ici ; en attendant de le prêter à un film scénarisé (ou simplement flanqué d'orientations solides) et à d'autres ambitions. L'opus précédent signé Rappmund (Vulgar Fractions) assumait mieux cette identité de catalogue charmant et animé, catégorie distincte du roman-photo, dont elle reste l'inférieur (car malgré l'élégance de ses outils, son langage reste plus minimaliste).
https://zogarok.wordpress.com/2016/02/21/tectonics-rappmund/