Lors d’un banal trajet en voiture en famille, l’ombre de Tengo sueños eléctricos se déploie avec fracas tandis que dans un excès de rage le père, Martin (Reinaldo Amien Gutierrez), sort du véhicule pour frapper frénétiquement sa tête contre le portail métallique du domicile conjugal qu’il doit quitter. Face à cette violence expansive, Valentina Maurel saisit avec sa caméra les conséquences de l’acte sur le reste de la famille : la mère Anca (Vivian Rodriguez) reste impassible par habitude, la jeune Sol (Adriana Castro Garcia) – traumatisée – ne peut retenir sa vessie, et sa grande sœur Eva (Daniela Marin Navarro) s’époumone pour venir en aide à son père. Alors que son univers s’effondre suite à la séparation de ses parents, cette dernière s’efforce de sauver les traces de l’existence de son père, dont un carnet rempli de notes poétiques, dans une maison en cours de rénovation. Âgée de 15 ans, elle souhaite vivre avec son père se lançant, pour lui ou ce qu’elle pense qu’il désire, dans la recherche d’un appartement pour eux. Si son amie swipe sur une application de rencontre, Eva parcourt ardemment les petites annonces immobilières. Loin de sa relation conflictuelle avec sa mère, elle cherche à reconstruire son propre équilibre afin de traverser les tumultes de l’adolescence.
Avec Tengo sueños eléctricos, la cinéaste franco-costaricaine livre l’un des plus forts portraits récents sur l’adolescence. Son premier long-métrage est habité par l’intensité propre à cette période d’apprentissage de soi et des autres, cette singulière collision entre un ennui apathique et un exubérant goût de l’aventure. Malgré la dureté de son propos, Valentina Maurel compose un cinéma à l’effigie de sa protagoniste : emplie de vie, affamée de sensations. Eva sait ce qu’elle désire et provoque son destin. De ses pérégrinations, elle collectionne des images mentales comme cette jeune femme dont le haut se détache lors d’une attraction dévoilant sa poitrine. La caméra de Maurel se fait à la fois charnelle et lointaine, calquant sa distance sur cette confusion naissante entre le fantasme et le réel. Comme Eva, Tengo sueños eléctricos observe âprement le monde des adultes afin d’en saisir les codes pour y être acceptée. Chaque première fois (tabac, alcool, sexe) se vit comme un adoubement vers une liberté fantasmée, corrompue par l’aura de l’entourage composé d’artistes de son père.
Entraînée dans une danse macabre où meurt l’innocence, Eva se confronte à la violence structurelle de la société costaricaine envers les femmes. Elle navigue entre le désir d’hommes plus âgés transformant son corps, et celui des filles de son âge, en proie. Au sein de Tengo sueños eléctricos, la prédation sexuelle s’exprime autant dans sa visible institution (l’agent immobilier les prenant pour un couple, malgré l’évidente différence d’âge) que dans ses manœuvres clandestines (le flirt de son père avec son amie ivre ; la relation naissante avec l’ami de son père). À l’instar de la séquence d’ouverture, cette violence sexuelle et sexiste s’accompagne d’une autre violence, également inhérente au patriarcat, nichée dans le comportement agressif et (auto)destructeur de Martin. Avec talent, Valentina Maurel parvient à saisir la confusion psychologique de sa protagoniste face à un père aimé et craint. Dans ce flou émotionnel, Eva cherche à canaliser aussi bien la violence de son père que la sienne (notamment envers sa sœur et sa mère). À travers ces deux personnages à l’électricité variable, Tengo sueños eléctricos questionne le poids d’une violence héritée. Dans un ultime champ-contrechamp, le père libère sa fille du poids de cette malédiction familiale augurant, en fin de l’un de ses poèmes, qu’« il faut parfois plusieurs vies pour le comprendre [mais que] la rage qui nous traverse ne nous appartient pas ».