Un effroyable squelette de métal émergeant d'un brasier... C'est de cette vision que naquit le script de Terminator. Alité avec une forte fièvre dans une chambre d'hôtel en Italie en 1981 (durant le tournage de Piranhas 2), le jeune James Cameron fit alors un cauchemar duquel il retint cette image obsédante et dont il s'empressa d'en tirer quelques croquis et peintures. En découla finalement tout un questionnement sur l'histoire probable de cette créature et les fondements de ce qui deviendra l'une des icônes les plus importantes de la pop culture. Car du haut du second millénaire, force est de constater que Terminator a durablement marqué son époque, jusqu'à servir de référence première à une multitude d'autres oeuvres.


La thématique du robot tueur n'étant bien sûr pas nouvelle en 1984 (Mondwest ou encore Saturn 3 l'avaient précédé à l'écran), Cameron aura pourtant su s'affranchir de ses nombreuses influences pour livrer une vision bien plus sombre et innovante que tout ce qui avait déjà été fait en la matière sur grand écran. En témoignent les premières images du film, nous plongeant au coeur d'un monde où l'humanité, reléguée à quelques silhouettes tapies dans autant de bunkers sous-terrains que d'épaves, lutte désespérément contre des machines monstrueuses et indéterminées. Celles-ci sillonnent le ciel sinistre ou roulent sur un champ de bataille jonché de millions de crânes humains, témoins du génocide entamé par le super-ordinateur Skynet. Dans ce futur de cauchemar, la guerre pour la survie de l'espèce humaine fait rage et celle-ci ne se fie plus qu'à un seul homme pour espérer vaincre les machines.


Bien sûr, le film n'en révélera pas plus sur cet avenir. Celui-ci ne restera qu'une toile de fond, un background surréaliste exposant en seulement deux minutes d'images apocalyptiques tous les enjeux de l'intrigue. Il s'agira alors d'annoncer un sauveur, une figure messianique dont on ne saura rien si ce n'est son nom, et de mettre en péril sa venue au monde en faisant de sa mère la proie d'un tueur implacable, lancé à travers le temps. La grande idée de Cameron fut donc d'exploiter deux thèmes classiques de la SF (la menace androïde, la boucle temporelle via la paternité de Kyle Reese) pour imaginer une intrigue bâtarde dont les ressorts scénaristiques emprunteraient à plusieurs genres cinématographiques.
D'une efficacité redoutable, la mécanique narrative employée dans Terminator est en fait clairement héritée du slasher dont le réalisateur et scénariste détournait habilement les codes naissants (le meurtre de Ginger et de son Jules au sortir du plumard, le chef de la police dubitatif, le triple climax et son tueur increvable) pour l'appliquer à une sorte de thriller urbain bâti sur des éléments de pure SF et dont l'enjeu ne se limitait pas qu'à la seule survie d'un ou plusieurs personnages. Ponctué de séquences d'anthologie (l'assaut du commissariat), traversé de quelques sursauts horrifiques (la scène où le robot se répare dans l'ombre d'une piaule sordide), Terminator se regarde comme une longue course-poursuite aux élans de pur actioner, menée presque sans temps morts (dès la fusillade du TechNoir) et induite par la seule menace d'un antagoniste invulnérable.


Tout juste revenu du diptyque Conan, Arnold Schwarzenegger trouvait ici le tremplin idéal à la carrière hollywoodienne dont il rêvait. Ses talents d'acteurs étant à l'époque de son propre aveu, très limités, il vit en ce rôle l'occasion de tenir à nouveau le haut de l'affiche tout en s'assurant un minimum de répliques (il ne prononce en tout et pour tout que 17 phrases dans le film). Conscient que la crédibilité du film dépendrait beaucoup de la qualité de son jeu, le colosse autrichien choisit de calquer son travail sur celui de Yul Brynner dans Mondwest et composa ainsi un personnage monolithique, terrifiant de froideur et de détermination.
Véritable machine à tuer, aussi glaciale qu'impitoyable, et s'apparentant pour beaucoup à une sorte de Michael Myers à la gâchette facile, le T-800 n'abandonne jamais. Entièrement tourné vers sa mission, il avance sans même se préoccuper de ce qui l'entoure, tout aussi insensible aux émotions qu'aux impacts de balles. Lancé à la poursuite de la jeune Sarah Connor, il montrera à plusieurs reprises sa détermination homicide, n'hésitant pas à supprimer tout ceux qui lui barrent la route. La brève accalmie voyant l'héroïne trouver refuge dans un commissariat de police (a priori rassurant puisque grouillant de flics) volera d'ailleurs en éclats lorsque son implacable poursuivant prendra d'assaut l'endroit pour y débusquer sa proie.


Audacieux quand il s'agit d'aller à l'encontre des attentes, Cameron laissera finalement tout aussi peu de répit au spectateur qu'à ses protagonistes (juste le temps de leur faire vivre une brève romance). Ce qui fait encore aujourd'hui la grande force de son film c'est ce sentiment d'urgence, de menace sourde et permanente pesant sur les personnages. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Cameron a choisi de filmer essentiellement de nuit : la Los Angeles nocturne et oppressante de 1984 emprisonne la fuite de ses personnages et semble même annoncer par son aplat de ténèbres les derniers temps du monde.


En bout de course le cinéaste convoquera alors son cauchemar initial et nous assénera enfin la vision de ce squelette de métal émergeant des flammes. Tout en réveillant chez le spectateur des peurs ataviques (squelette = mort), cette image terrifiante achève de situer le film dans une science-fiction mature, dépressive et avant-gardiste. D'autant que loin de céder à la facilité d'une résolution bâclée, Cameron est allé jusqu'au bout de son idée en soulignant l'imperturbable détermination de ce simulacre cauchemardesque. Ainsi, même après avoir été coupé en deux par une grenade, le robot ne déviera jamais de sa cible et rampera obstinément à la suite de Sarah, sa course se clôturant sous une presse hydraulique qui n'en laissera qu'un bras robotique résolument tendu vers sa proie.


Puisant son inspiration autant au cinéma que dans la littérature de science-fiction (son film contribuera d'ailleurs à l'émergence du cyberpunk la même année) voire dans le comic et le manga, Cameron imposait pourtant avec Terminator une vision totalement novatrice en 1984. Très peu d'oeuvres cinématographiques avaient jusqu'alors privilégié la description détaillée d'une telle intelligence artificielle (2001, Blade Runner). Et au-delà de sa programmation simplement homicide, le Terminator représentait alors surtout une conception alarmiste de l'intelligence artificielle, autonome et donc dangereuse, très proche de certains écrits de Dick (Seconde variété), Ellison (Je n'ai pas de bouche et il faut que je crie) et Asimov (Conflit évitable dans Les Robots). Qui plus est, les visions post-apocalyptiques distillées dans ce premier opus relevaient du jamais vu à l'époque, Cameron imposant alors une imagerie SF propre à alimenter pléthore de projets fantasmes. Nombre de spectateurs abasourdis se plurent ainsi à souhaiter un film dont l'intrigue se déroulerait entièrement dans le 2029 imaginé par Cameron, chose évidemment impossible à l'époque, moyens obliges.
Depuis, le premier film majeur de Cameron a servi d'influence à bon nombre d'autres oeuvres, tous médiums confondus. Du cinéma (Matrix Revolutions, Looper) au manga (Ghost in the shell, Blame), en passant par le jeu vidéo et la littérature (Robopocalypse), nombreuses sont les oeuvres qui paieront plus ou moins cher leur tribut à ce classique intemporel.

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le 30 janv. 2019

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Buddy_Noone

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