7 avril 2018, jour où mon amour du cinéma m'a une fois de plus giflé en pleine figure. Cela fait plusieurs semaines qu'il me tarde de voir Tesnota, une vie à l'étroit. Il faut dire que plusieurs éléments ont attisé mon intérêt pour ce film : la sélection "Un certain regard" - souvent très intéressante à mon goût – lors de Cannes 2017, le synopsis intrigant, une affiche et des photos laissant entrevoir un film très beau visuellement, un bon accueil critique dans l'ensemble, le 1er long métrage d'un jeune réalisateur russe, Kantemir Balagov, disciple de Sokourov…


7 avril 2018, je me plonge finalement dans une salle obscure prêt à découvrir ce que ce Tesnota a à m'offrir. J'en ressors deux heures plus tard, les rétines encore humides et le cœur rempli de bonheur face à l'excellent long métrage que je viens de visionner. C'est pour voir ce genre de film, ressentir ce genre d'émotions que je continuerai sans cesse d'aller au cinéma.


Inspiré de faits réels (le réalisateur s'est basé sur une histoire ayant eue lieue dans sa région natale en 1998 lorsqu'il avait alors 7 ans, qui lui a été rapportée d’abord par son père puis par la communauté juive de Naltchik), Tesnota est une véritable pépite tant au niveau de la réalisation, de l’interprétation que de la mise en scène.


Le film prend place en 1998 dans le Nord Caucase à Naltchik, capitale de la République autonome de Kabardino-Balkarie incluse dans la République de Russie. Dans cette ville de 240 000 habitants Ilana, 24 ans, travaille dans le garage de son père. Un soir, son frère cadet et sa fiancée sont kidnappés. Une rançon est alors réclamée. Avoir recours à la police est une chose exclue au sein de cette communauté juive repliée sur elle-même. La communauté et la famille des deux otages vont alors tout mettre en place pour réunir la somme nécessaire afin de les libérer.


D’emblée, ce qui m’a plu dans cette histoire est le fait que le réalisateur ne s’attarde pas sur l’enlèvement, il ne le montre d’ailleurs pas à l’image. L’enlèvement en soit n’est pas important mais ce sont les conséquences que celui-ci va avoir sur les familles impliquées qui intéresse Balagov.


Face à une épreuve familiale qui survient brutalement, nous allons suivre l'évolution de la situation à travers le personnage fort du film : Ilana, jeune fille de la famille et sœur du garçon enlevé. Ila a un caractère fort, faisant fi des pressions exercées par sa communauté et sa famille pour ne laisser place qu'à ses désirs et ses envies. Le métier de mécanicienne d’Ilana ne plait pas à sa communauté juive, pas plus que son amoureux Kabarde (communauté musulmane majoritaire à Naltchik) du fait de la confession de celui-ci. C'est à travers les actes d’Ilana que l'histoire va évoluer. On a ici un premier parti pris du réalisateur qui choisit des personnages féminins forts (le rôle de la mère d’Ilana est aussi très important dans l’intrigue), et des personnages masculins plus effacés à l’image de la figure paternelle.


Sur ce point, l’interprétation des acteurs principaux est d’une qualité remarquable : tous les mérites reviennent d’abord à Darya Zhovner qui est époustouflante dans son rôle principal d’Ilana. L’actrice emporte les spectateurs à suivre l’évolution de son personnage sans jamais décevoir. La jeune femme a notamment reçu le prix d’interprétation féminine au festival Premiers Plan d’Angers, prix amplement mérité au vu de sa performance. Par ailleurs, Atrem Tsypin dans le rôle du père à la fois allié et ennemi de la jeune fille selon les moments ; et, Olga Dragunova dans le rôle de la mère dure, stricte et en opposition à ses enfants, sont tous deux très bons. J’ai aussi apprécié le rôle de Zalim, petit ami d'Ilana qui subit la situation mais qui reste fasciné par le caractère vacillant de sa bien-aimée. Petit bémol en revanche pour le rôle de David, frère d’Ilana, à l’interprétation correcte mais dont le rôle, moins complexe, se retrouve aussi moins intéressant à suivre tout au long du film.


D’un point de vue réalisation, le format 1:37, facilement critiqué, est ici parfaitement justifié et propose trois faits intéressants à souligner. D’abord, cela amène une sincérité au propos car il accentue cette sensation d'enfermement (à l'étroit) recherché par Balagov. Ensuite, il permet un rapprochement entre les personnages dans les plans à deux amenant une dimension tactile, sensorielle intéressante. Cela va donner des échanges magnifiques entres les acteurs. Enfin, ce format permet de travailler sur la profondeur de champ offrant au spectateur certaines scènes d'une beauté visuelle exceptionnelle : une scène d’ébats sexuels à la limite entre le consentement et le viol dans un couloir, une descente vers une rivière sous le regard maternel situé à l'intérieur d'une voiture…


Un important travail sur les couleurs est aussi à souligner. Le film varie entre les teintes bleues, rouges, et ocres, que l’on aperçoit à travers les costumes, les décors et les lumières, ce qui accentue un peu plus la beauté visuelle du film, et exprime à l’image les sentiments d’Ilana au cours de l’histoire. Au-delà de la belle partition du réalisateur, nous pouvons ici souligner le très bon travail du directeur de la photographie ainsi que du chef décorateur.


Au fil de l’intrigue, le personnage d’Ilana résiste tant bien que mal aux décisions arbitraires de sa famille, voulant la marier à un membre de sa communauté juive, désirant déménager de la région une fois que David, son frère soit revenu, etc. La toute fin du film laisse une lueur d’optimisme quant à l’avenir de cette famille, à l’image de la scène du pique-nique au bord de la rivière, avenir qui restera un mystère pour le spectateur.


Avec ce premier film très réussi, Kantemir Balagov semble promis à un bel avenir et peut s'imposer comme un cinéaste qui comptera au cours des années à venir dans le paysage cinématographique russe à l'instar d’Andreï Zviaguintsev à qui l'on doit les très bon Léviathan et Faute d'amour. Voir de jeunes réalisateurs proposer des films d'auteurs de qualité me fait le plus grand bien dans ma vie de cinéphile, et ce Tesnota, une vie à l’étroit de 2018 me rappelle le bonheur éprouvé et la claque cinématographique reçue en 2015 avec le puissant premier long métrage de László Nemes Le fils de Saul.

augutopia
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le 8 avr. 2018

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