Intégration ou émancipation
Clan, tribu ou individu
Renonciation ou liberté
Tant de mots clés qui résonnent comme des coups bruts et froids à travers la caméra de Kantemir Balagov, jeune réalisateur de 27 ans dont le sens de la mise en scène se révèle être une vraie pépite.


Il nous offre en moins de 2 heures un tableau saisissant de la situation dans le Caucase nord à travers un fait divers survenu en 1998 à Naltchik, sa ville natale : l'enlèvement d'un jeune couple de juifs promis au mariage. Les parents se débattent pour trouver des fonds parmi la communauté juive, qui se révèle moins soudée qu’elle en a l’air puis décident de marier leur fille pour obtenir l'argent de la dot.


Au delà d'un simple fait historique, la force du film résulte du portrait sensible et vif d’Ilana, la sœur ainée au caractère bien affirmé du fils kidnappé et qui ne semble pas avoir la parole : que ce soit au sein de la communauté juive à laquelle elle appartient ou même avec le foyer familial.
En rupture avec les autres membres conservateurs, celle-ci (l’actrice Darya Zhovner est impressionnante de justesse) rêve d’un ailleurs ...
Et le réalisateur nous le fait bien comprendre en multipliant les plans rapprochés sur son visage, les mains dans le moteur dans le garage de son père, sous son gros pull à motifs, sa salopette et sa veste en jean. Cette beauté garçonne au regard noir brûle de désir et de vie dans l'étouffant purgatoire que devient sa communauté.
Loin de la figure féminine traditionnelle que ses que ses parents souhaiteraient tant, elle ose même défier l’autorité en fréquentant un jeune homme kabarde, d’une autre confession religieuse.
Et c’est là tout le génie de la mise en scène : Balagov resserre la caméra sur les protagonistes (utilisation du format de l’image 4/3) et soigne les ambiances tantôt électriques tantôt feutrées (colorées, tons bleus, rouges).


Le film tend entre silences longs et pesants et coups de rage, contre une communauté juive étouffante et conservatrice, ou avec sa propre famille. Les relations du clan se nouent, se crispent et s’entrechoquent avec âpreté. Le calme anxiogène bascule dans des scènes-choc dérangeantes (une vidéo d’une décapitation en Tchétchénie est regardée avec indolence par les amis du petit copain d’Ilana de la même façon que le clip musical diffusé juste avant). L’oppression familiale et les représentations de « prises en étau » deviennent de plus en plus dérangeantes.
La scène de quasi viol où la jeune femme décide de perdre sa virginité afin d’échapper à un mariage forcé semble se transformer en geste sacrificiel, comme une réponse à son refus d'accepter la décision de ses parents sur sa propre vie.


Tesnota frappe ainsi par sa capacité à mêler le drame individuel et les tensions sociales au sein d’un microcosme familial au bord de l’implosion quand un drame survient.
Kantemir Balagov avec ce 1er long-métrage s’impose dans l’actualité cinéma et que nous souhaitons revoir prochainement…

nausicaaaa
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le 13 mars 2018

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