Roulez Jeunesse

C'est assez amusant de voir ressurgir de sa tombe tel un zombie un film de Romero oublié depuis plus de 45 ans. A l'origine The Amusement Park est une œuvre de commande de Lutherian Services, une ONG internationale de l’Eglise Luthérienne, afin de sensibiliser sur la souffrance, la stigmatisation et les difficultés à vivre en société pour les personnes âgées. Romero leur offre un moyen métrage métaphorique de 53 minutes qui rempli ses objectifs un peu au delà des espérances de cette association qui effrayé par l'étrangeté morbide et la violence du propos décide de mettre le film dans un tiroir, de le fermer à double tour et de balancer la clef aux oubliettes. Cette sortie dans une copie restaurée 4K supervisée par Suzanne Romero permet de replacer ce film oublié dans le top de la filmographie de Georges Romero.

Dans The Amusement Park nous allons suivre les déambulations d'un vieil homme dans la fête foraine de West View Park en Pennsylvanie. Cette journée à priori ordinaire au pays du divertissement tourne doucement au cauchemar pour cet homme perdu dans un monde qui n'est plus fait pour lui.

The Amusement Park est donc une vraie curiosité dans laquelle Romero par le biais d'un film expérimental et métaphorique tente de nous faire prendre conscience à travers une œuvre de commande du mal-être de la vieillesse. Je regrette presque la longue introduction du film qui en livre clefs en mains tout la mécanique et symbolique à travers le discours face caméra d'un personnage qui vient nous expliquer avant même que le film ne démarre vraiment comment il va falloir le comprendre et le ressentir. J'ai la sensation que ce préambule casse un peu d'entrée notre futur ressenti vis à vis d'un film que j'aurai voulu découvrir sans explications de texte préalable. Le meilleur de The Amusement Park restant bien évidement toute sa partie centrale durant laquelle Romero plonge l'acteur Lincoln Maazel au milieu de comédiens non professionnels et d'une fête foraine symbole de vie, d'amusement, de jeunesse et d'insouciance. The Amusement Park fonctionne parfaitement et le film n'avait certainement pas besoin de son introduction explicative. Filmé de manière brut, fiévreuse et quasi documentaire le film nous plonge dans un univers à la fois drôle et effrayant dans lequel l'amusement des uns devient l'affreux cauchemar des autres. Parfois cruellement drôle comme l'accident d'autos tamponneuses à cause de ces foutus vieux qui ne savant plus conduire , le film se fait parfois bien plus malaisant comme la foire aux monstres exhibant des personnes âgées sous les quolibets d'une foule hilare et cruelle. Oui il ne faisait pas bon être vieux en 1973 et le film reste d'une bien triste et cruelle actualité tant les mésaventures de ce vieil homme gardent de profondes résonnances aujourd'hui encore. Les personnes âgées sont ici méprisées, moquées, arnaquées pour leur crédulité, poussées vers la sortie, bousculées par le rythme du quotidien, martyrisées du fait de leur faiblesse, invitées à rejoindre l'hospice ou le cimetière; The Amusement Park manie les symboles avec une grande force et cruauté dressant un portrait vertigineux et terrifiant de l'anti chambre de le mort. Il ne reste plus beaucoup de place pour l'espoir et l'amusement et même l'apaisement auprès d'une petite fille ne sera que de courte durée. Le film de George Romero est dans la même lignée que certains films de sa jeunesse notamment Season of the Witch dont il partage le côté brut et l'étrangeté un peu malaisante; et même si l'on pourra comprendre l'effroi de l’Eglise Luthérienne à la vue du film il est incontestable que The Amusement Park rempli parfaitement son contrat en nous plongeant dans le cauchemar métaphorique de la vieillesse.

The Amusement Park est donc un grand petit film, une œuvre de jeunesse qui traite avec maturité et pertinence de la vieillesse et une pierre importante de plus à ajouter l'édifice de la filmographie de Georges Romero.