En quittant son cadre australien habituel pour la Colombie, le cinéma de Greg McLean s’ouvre à une autre culture marquée par la tension intestine entre une modernité technologique et la persistance des traditions locales placées sous le signe de la précarité : le film s’ouvre par une séquence dans les rues de la capitale, encombrées de véhicules et de vendeurs à la sauvette qui proposent des grigris et autres objets de confection artisanale. Des enfants ont la mort au visage, portent des masques sur lesquels est représenté un crâne. D’emblée, c’est un visage meurtri que le cinéaste propose de la société colombienne, tout entier incarné par ce grand bâtiment de l’entreprise Belko dans lequel s’active un personnel issu de minorités ethniques différentes, et dont certains employés sont en situation irrégulière.
On comprend dès lors que l’entreprise fonctionne comme un corps capable d’uniformiser ses membres, un corps hiérarchisé et dirigé par une voix supérieure que l’on associe explicitement à « la voix du Christ », à « notre nouveau Dieu ». La devise de Belko est « Bringing the world together », c’est-à-dire « rassembler le monde », en adéquation avec la circulation des cerveaux qui conduit les hommes et les femmes à quitter leur pays d’origine pour réussir ailleurs, pour servir une entreprise.
Et ce que met en scène McLean, c’est la radicalisation de ce processus d’appartenance et de dépendance à l’entreprise au nom de deux facteurs : le culte de la performance d’une part, la sacralité de la vie d’autre part. Les objectifs de productivité et de compétitivité se voient ainsi subordonnés à l’instinct de survie et la combativité, sinon justifiés par eux. Dit autrement, c’est parce que la nature humaine est individualiste et violente que le monde de l’entreprise exploite ses employés, les vide de toute sociabilité pour les faire agir selon ses désirs, tels des pantins qu’un marionnettiste, depuis les hauteurs, agite sans vergogne. « La nature reprend ses droits », indique Leandra à son petit-ami qui s’emparera par la suite d’un support dévidoir de scotch pour fracasser le crâne de son supérieur, rappelant l’homme des cavernes et son bloc de pierre.
Par le prisme du jeu de massacre, The Belko Experiment met à nu le processus de sacralisation de l’entreprise et d’aliénation de l’individu au travail, incapable de distinguer les fictions que lui et sa communauté bureaucratique construisent autour de leur activité afin de lui donner du sens. Tout compte fait, le cinéma de Greg McLean s’expatrie mais reste fidèle à ses thématiques privilégiées : orchestrer un retour à la violence primitive d’un mythe (ici l’entreprise) pour mieux nous inviter à réfléchir sur le besoin des hommes à se construire des fictions dans lesquelles se sentir vivre et auxquelles se mesurer. En dépit d’un dernier segment moins réussi, la faute à une clausule prévisible et assez stéréotypée, le film plonge son spectateur dans un chaos bureaucratique très violent et au crescendo dramatique implacable qui n’est pas sans évoquer la conversion du pacifiste et idéaliste à la violence dans Les Chiens de paille de Sam Peckinpah.