Ils sont marteau ces coréens
Décidément le cinéma coréen n'arrête pas de me surprendre de par sa liberté de ton, son extrême maîtrise des sujets les plus divers, et sa démarche sans concession lorsqu'il s'agît de faire état des aspects les plus noirs de l'âme humaine. Quitte à paraître profondément pessimiste; ou désespéré.
The Chaser est le premier film de Na Hong-Jin, et on a du mal à le croire tant l'assurance et le savoir faire transpire dans chaque scène.
Ce qui aurait pu être dans les mains d'un tâcheron américain (ou français) qu'une banale histoire de serial killer déviant qui assassine des femmes au marteau et au ciseau parce qu'il aimait bien mettre les robes de sa maman quand il était petit, se transforme ici en une véritable descente aux enfers progressive, sinueuse et inévitable, où l'horreur et la violence prennent le pas sur la raison et toute tentative d'explication.
Na Hong-Jin choisit de traiter son histoire (inspirée de faits réels) de façon réaliste. Ancrée dans l'espace (un quartier) et le temps (presque 24 heures, en grande majorité de nuit) elle est de ce fait débarrassée de pirouettes narratives et visuelles vulgaires et artificielles, ce qui a pour effet immédiat l'adhérence du spectateur qui se retrouve pris dans l'urgence et l'enchainement fluide des évènements, ainsi que de souligner encore plus l'ampleur de l'horreur des actes commis par un tueur dont le côté monsieur tout le monde couplé à un détachement moral à glacer le sang en font justement un monstre tout ce qu'il y a de plausible, de plus humain.
Je sais pas vous d'ailleurs, mais moi les seuls monstres que j'ai vu dans la vraie vie étaient tous des êtres humains.
L'écriture, en dehors de construire une intrigue aussi haletante qu'efficace, sert aussi une poignée de personnage à la fois crédibles et dramatiquement intéressant. Un mac ex flic ayant gardé autant de vieux réflexes professionnels que d'anciens collègues (ce qui au passage en dit long sur le regard posé sur la police locale, soigneusement égratignée tout le long du film), des filles de la rues contraintes à flirter avec le danger et la perversion d'un monde urbain qui commercialise le sexe, une petite fille qui se retrouve au milieu de l'affaire collée au basques du « héro » sans effets comique ou léger si propres aux lieux communs chers à ce genre de situation (formidable moment que cette séquence sous la pluie alors que la fillette qui semble comprendre quel sort attend sa mère pleure dans la voiture tandis que Joong-Ho téléphone, le tout sans autre bruit que ceux de la pluie et de la voiture).
Et enfin ce tueur : Ji Young-Min, dont le visage et les agissements nous sont très vite dévoilés. Ce fait, tout d'abord un peu déstabilisant, nous fait comprendre que l'intérêt de l'intrigue ne résidera pas dans une chasse à l'homme à l'aveuglette, mais bel et bien dans la démonstration des actes d'un esprit malade et violent, qui ne seront d'ailleurs jamais vraiment expliqués, et donc interprétés, rationalisés. Une folie meurtrière dénuée de sens : voilà l'horreur.
L'interprétation de Ha Jung-Woo du personnage est au passage remarquable : lisse en apparence, à l'attitude faussement ahurie, et au calme feint, enchainant sourires en coin et propos aussi violents que débités avec calme trahissant une grande tension interne. Il fait figure de parfait monstre humain dénué d'âme.
Pour finir on ne saurait oublier de mentionner le travail d'ambiance, talentueusement distillé tout au long du métrage, à mesure que l'intrigue, comme les heures de la nuit, nous amène vers un dénouement pas tout à fait heureux.
Le paysage nocturne urbain tout d'abord plein de vie et de lumière (circulation, piétons, enseignes) semble réagir de plus en plus à l'histoire, et tel un décor vivant évolue et mue au fil des heures et du temps: dégagé et illuminé, puis sombre et humide, puis pluvieux, puis chaud et étouffant. Et lorsque le jour pointe, vers la conclusion, c'est pour se vêtir d'une lumière tyrannique et d'une chaleur écrasante, comme pour prouver que les monstres ne disparaissaient pas avec le levé du jour et démontrer que lumière n'était pas synonyme d'espoir (preuve en est la scène du magasin).
The Chaser est un premier film absolument remarquable et maitrisé, et Na Hong-Jin prouve qu'il est possible de filmer avec maitrise du propos et de son traitement une histoire à la fois extraordinaire et réaliste, et jongle habilement entre le léger, le sordide, tension psychologique palpable et violence graphique sans aucune vulgarité.
Affaire à suivre.