En pleine ascension du col de Vence (France), l’amitié indéfectible de deux amis d’enfance américains vit sa première sortie de route. L’un est un cycliste chevronné, l’autre suit péniblement. Profitant de cet avantage physique, Mike (Michael Angelo Covino) ébruite qu’il a déjà couché avec la fiancée de Kyle (Kyle Marvin). Point de départ scénaristique de la survivance d’une amitié brisée, la séquence d’ouverture – préalablement présentée en tant que court-métrage – sert de manifeste artistique à l’enchevêtrement de scènes qui confronteront les deux hommes sur une période d’une quinzaine d’années. Chacun des huit plans-séquences que compte The Climb est conçu de manière autarcique autour d’un élément déclencheur (principalement le comportement déplacé de Mike) qui permet au cinéaste de déconstruire, puis de réenchanter par l’apport d’une douce folie, des moments de vie codifiés par la société (enterrement, mariage) ou par le cinéma (bachelor party, repas de Noël).
Se jouant de la durée de ces saynètes étirées à outrance, les deux comédiens-scénaristes séduisent par leur capacité à organiser une sorte de chaos de l’ordinaire. Ils dynamitent un réel fondamentalement trivial pour accoucher d’une tragi-comédie parfois burlesque composant avec l’adage de la loi de Murphy : « tout ce qui peut mal tourner, tournera mal ». Face à ce champ des possibles scénaristiques, le spectateur se laisse emporter pour le rythme propre à chaque chapitre et devient le témoin de l’évolution de la relation des deux protagonistes. Un rôle constamment mis en crise par l’habile choix de parsemer l’œuvre de multiples ellipses, plus ou moins longues, brouillant les repères chronologiques et annihilant les conséquences dramaturgiques des chapitres précédents. The Climb ne se focalise pas sur les actes de ses personnages et leurs répercussions immédiates, mais sur les interactions – comme lieu de réciprocité et de partage – démontrant le lien inaltérable entre les deux hommes.
L’œuvre questionne ainsi la notion de bromance au sein même du cinéma américain. D’un côté, elle supprime les « gags » hétéronormés, voire homophobes, jouant avec les frontières entre masculinité, virilité et homosexualité. De l’autre, elle propose le rare récit d’une amitié toxique entre hommes sur un plan uniquement affectif et émotif. Que se passe-t-il quand une amitié est si forte qu’elle empiète, sous couvert de l’idée de ce que devrait être le bonheur pour l’autre, sur la vie sentimentale ? Par ce dilemme quasi-cornélien, Michael Angelo Covino et Kyle Marvin narrent la confrontation entre la vision absolue de l’amitié enfantine, perçue comme totale et centrale, et les aléas de la construction mouvementée d’une vie d’adulte, entraînant l’immersion de nouvelles rivalités (conjoint.e.s, enfants, travail). Focalisé sur cette amitié masculine, The Climb ne tombe pas, à l’inverse, dans la monstration d’une typologie caricaturée de personnages féminins qui ne répondrait qu’à des nécessités scénaristiques – bien que certains personnages auraient pu gagner en profondeur.
Si certaines séquences tendent parfois vers le vaudeville (notamment celle dans le chalet), The Climb trouve sa cohérence dans son geste cinématographique en entier qui recherche, à l’instar de ses interludes musicaux poético-burlesques, une sincère musicalité des sentiments. Par sa générosité scénaristique et son approche de la mise en scène au plus proche du phrasé des comédiens, le premier long-métrage de Michael Angelo Covino s’inscrit dans la continuité du cinéma de la regrettée Lynn Shelton (1965-2020) – figure de proue de la mouvance mumblecore.