Humans after fall
Alors que l’industrie du blockbuster suffoque sous l’essorage de franchises qui commencent peut-être enfin à lasser même le grand public, l’arrivée d’une proposition comme The Creator ne peut que...
le 30 sept. 2023
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Alors que l’industrie du blockbuster suffoque sous l’essorage de franchises qui commencent peut-être enfin à lasser même le grand public, l’arrivée d’une proposition comme The Creator ne peut que réjouir : non seulement parce qu’il va permettre la découverte d’un nouvel univers narratif, mais aussi parce que, doté d’un budget raisonnable (environ le tiers des Marvel et consorts), il va pouvoir développer une véritable inventivité.
La communication autour du film ne manque d’ailleurs pas d’ironie : dans la lignée de celle de Nolan qui affirmait que son Oppenheimer ne contenait pas de CGI, Gareth Edwards insiste sur les décors naturels de son récit, où les fonds verts n’ont été convoqués que lorsque cela était indispensable. Alors qu’il traite de l’intelligence artificielle et de l’inquiétude des avancées technologiques, l’organique devient une sorte de garantie d’authenticité, et conditionne très clairement une direction artistique assez remarquable, mêlant un esprit vintage décati sur des machines très 80’s à un décorum le plus éloigné possible du monde occidental.
The Creator ne sera certes pas révolutionnaire dans l’intrigue qu’il développe, où la question de l’enfance au sein d’une IA permet de questionner les fondements humains. Au détour des séquences, on croisera les influences revendiquées d’A.I., d’Akira, de Blade Runner, ou encore de Terminator, sans que celles-ci viennent encombrer ou dévaloriser la proposition. Edwards embarque son protagoniste dans un récit initiatique où il sera question d’ouvrir les yeux sur le sens de sa mission, accompagnant celui du spectateur sur une réalité aux implications philosophiques et émotionnelles. Le traitement de la population des Simulants relève ainsi pratiquement d’une ethnologie, de nombreuses séquences évoquant leurs rites, leur rapport à la cellule familiale et leur aspiration à un bonheur qui délaisse complétement les spécificités technologiques pour faire le portrait des invariants humains.
Cette attention portée aux visages, à quelques figures secondaires et à l’apprentissage de la parentalité parvient à donner un souffle, voire une âme, à un récit qui n’oubliera pas non plus sa fonction première, à travers des séquences d’action de bonne tenue, où le sens visuel aigu d’Edwards sera exploité avec intelligence. On retrouve le talent avec lequel il gérait les plans d’ensemble et la profondeur dans Rogue One, à travers la menace constante du vaisseau amiral américain, œil vengeur scannant les campagnes de la Nouvelle Asie, et le travail sur les allées et venues entre les disproportions à l’échelle orbitale ou locale. Ce regard sur le déséquilibre entre une force massive et des autochtones démunis renvoie bien évidemment à Avatar, dont la structure (la sédition d’un soldat allant rejoindre le camp d’en face) rappelle beaucoup la trajectoire du protagoniste. Elle illustre surtout un discours politique d’une rare frontalité, où l’impérialisme américain dévastateur va susciter une indignation croissante, convoquant aussi bien l’Histoire passée (le génocide indien, la guerre du Vietnam, évidemment, dans cet arrosage de napalm sur les paysages asiatiques) que récent, la vengeance aveugle d’une attaque sur le territoire américain renvoyant bien entendu au 11 septembre et ses conséquences hasardeuses sur l’Irak.
Autant de qualités qui incitent à la clémence face à un défaut que l’on ne peut néanmoins ignorer en termes d’écriture : l’intrigue rencontre quelques malencontreux trous d’air, que ce soit en termes de cohérence ou de montage, certaines séquences manquant clairement de liant (le vaisseau Nomad à la fois au-dessus de Los Angeles et de l’Asie à la fin, par exemple) au point qu’on en vient à souhaiter voir le film rejoindre la cohorte de grosses machines ayant récemment atteint les 3 heures.
L’accueil réservé à The Creator sera déterminant, puisque l’industrie ne réagit qu’en termes de box-office. Un succès pourrait enfin ouvrir les yeux sur un futur du blockbuster, qui, avec un peu moins de grandiloquence, se libérerait des chaînes des franchises, et permettrait le retour de cinéastes dotés d’une véritable vision.
(7.5/10)
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Créée
le 30 sept. 2023
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