Je ne sais plus de quel oeil regarder les héros...
(Cette critique ne s'applique pas seulement à "Batman : The Dark Knight Rises" mais est un coup de gueule contre une manie qui se développe actuellement dans l'univers cinématographique des super-héros.)
Moi ce qui me dérange aujourd'hui dans les films de super-héros, que se soit "Spider-Man", "Batman" et compagnie, c'est que les réalisateurs veulent absolument les ancrer dans un monde le plus possible semblable au notre.
Plus de ville sombre et torturée comme dans les "Batman" de Burton (ils n'ont quasi que ça pour eux mais c'est quand même l'aspect graphique le plus marquant dont tout le monde se souvient), mais une mégapole comme on les connaît (Gotham city = Manhattan. Même si ça fait des économies d'effets spéciaux, ça manque sérieusement de poésie et de dépaysement).
Dans "Spider-Man", c'est moins la ville que la vie de Peter Parker qui a fait le grand écart entre les films de Sam Raimi et "The Amazing Spiderman". De livreur de pizza qui vit dans un appartement minuscule, harcelé par son propriétaire, on passe à un jeune bien plus avenant : comment peut-on penser une seconde que Andrew Garfield est le looser du lycée ? Une des caractéristiques jubilatoires de Peter Parker est que le jour ce n'est qu'un homme normal, un poil looser, grosse tête qui a du mal à garder une copine, et la nuit un athlète grande gueule qui se fout de ses ennemis à coups de blagues pour notre plus grande joie. Avec Marc Webb, Parker devient un jeune tête à claque frimeur pour lequel on ne ressent pas de pitié - et donc auquel on ne s'attache pas. Ce n'est pas parce qu'il a maintenant un téléphone portable que l'on a plus envie de lui ressembler...
C'est justement parce que Peter Parker était coincé dans une époque assez difficile à situer (certes il a la télé et le métro aérien, mais pas de tablette tactile ni de I-pod) qu'il en devenait plus universel. Idem pour "Batman" : Gotham est une ville IMAGINAIRE (heureusement, vu la quantité de fous au mètre carré), et donc doit avoir quelque chose d'inaccessible. Pas ressembler à ce qu'on trouve en sortant de la maison.
On va dire que je suis une puriste des comics et que je n'apprécie pas le changement. Pas du tout, j'ai lu relativement peu de comics et je ne râle pas contre la modernité dans les films de super-héros : j'adore l'aspect ultra-moderne de "Iron Man" qui frime avec ses gadgets et ses réacteurs sous les pieds. Mais justement, Iron Man est un peu différent des autres super héros : il jette bas le masque dès le début. Sans pouvoirs, il est dépendant d'une technologie de pointe que l'on ne pourrait décemment pas situer dans les années 60. Dans les premiers comics des "Agenvers", Iron Man doit régulièrement s'arrêter de combattre pour recharger ses TRANSISTORS. Admettons que ça la foutrait mal aujourd'hui au cinéma... :) (d'autant plus qu'un transistor ne se recharge pas)
Je trouve clairement plus intéressants les films de super-héros qui assument leurs origines imaginaires. En cela, "Thor" était un bon film : il ne viendrait à personne l'idée de faire d'Asgard un endroit normal. Et personne n'oserait dire : "pff, un pont arc-en-ciel magique, c'est trop con" puisque c'est indissociable de cet univers. S'assumer un genre légendaire, voire conte de fée pour adultes, mythologique, c'est ça faire un film de super-héros. On est quand même dans une histoire de dieux.
Mais c'est aussi valable pour les héros 100% humains (ou presque ?). C'est ce que j'ai trouvé génial dans "X-Men : First Class". Parce qu'il se situe un monde semblable au notre (mais pas le notre), le réalisateur a choisi de garder l'époque du comic : toute l'extravagance des années 70, pattes def et coupes de cheveux, qui éloignent les héros de nous mais les rendent, paradoxalement, plus crédibles. Matthew Vaughn aurait pu les situer dans notre époque en tordant bien le scénario, mais il a complètement assumé son choix, ce qui laisse sourire devant des cadrans avec des boutons fluos.
Finalement en y réfléchissant les Xmen n'ont pas besoin d'une époque, et donc n'insistent pas sur une technologie trop 60s ou ultra 2010 (pour le dernier "X-men").
Les comics ont joué sur ça (c'est très visible dans "Watchmen" par exemple) : créer des histoires dans des mondes qui ressemblent au notre, mais avec ce petit quelque chose qui les différencient clairement. C'est pour ça que nous spectateurs pouvons avaler des bêtises qui paraîtraient effarantes dans des films "réalistes" : si Batman dans le dernier Nolan peut débarquer comme un fleur à Gotham après avoir trimé comme un fou pour sortir de sa prison, sans qu'on voit le trajet et en se permettant d'enflammer un pont avec son symbole c'est PARCE QUE C'EST UN HEROS. C'est un personnage de conte, qui a le droit de faire des trucs de personnages imaginaires. Pas la peine dans ce cas de lui trouver des excuses (technologie ultra moderne, etc). Bientôt on va vouloir donner une explication au fait que le marteau de Thor revient toujours dans sa main...
L'ennui donc lorsque les héros se retrouvent dans un monde semblable au notre, c'est qu'on accepte moins facilement ces aberrations. Voilà pourquoi on peut lire sur SC quantité de critiques reprochant 1000 choses au dernier "Batman" : pourquoi Bane laisse Batman en vie au lieu de le tuer tout de suite ? parce que c'est un héros et qu'il faut qu'il passe par la douleur pour sauver sa ville. Pourquoi personne ne se soucie d'où se situe la prison de Bane ? parce qu'on s'en fout, et qu'en plus elle perdrait son petit quelque chose de fantastique/irréel/onirique (d'ailleurs toute cette partie du film n'est-elle pas un rêve ?). Comment Batman peut-il se faire réparer le genou sans cartilage ? parce que c'est un héros bordel ! quand on voit les tatanes que se prennent les super-héros, même sans pouvoirs, on ne se pose plus ce genre de questions enfin !
Avec cette nouvelle manie de situer absolument nos héros dans un monde semblable au notre, on perd la magie du super-héros. On se pose des questions là où il ne devrait pas y en avoir, on réfléchit à des détails là où on devrait juste se laisser aller à une histoire imaginaire qui fait rêver. Bref on regarde Harry Potter avec des yeux de journaliste du JT.
"Avengers" a réussit à se situer dans un juste milieu qui a en partie fait son succès. On sait que l'univers est celui d'Iron Man, donc relativement proche du notre. Mais dès la première scène, le film nous annonce la couleur : prenez le quotidien auquel vous ajoutez des dieux mélangés à des pouvoirs, une pincée de trucs magiques, faites fondre avec UN PORTE-AVION QUI VOLE et saupoudrez avec des extraterrestres. Bref, un scénario qui dès le début te dit : "Installe-toi confortablement spectateur et éteins ton cerveau, tu es juste là pour en prendre plein les yeux".
Je ne sais pas à quoi vont ressembler les prochains films de super-héros en projet (Superman, Avengers 2, Spiderman, etc), mais j'ai peur que sous prétexte de rendre le héros plus proche de nous (par l'époque, par la vie quotidienne, par les réseaux sociaux, etc) on finisse par éclipser ce petit quelque chose de l'imaginaire.
En fait il faut faire un choix :
- ou on fait un film de super-héros assumant ses origines fantastiques/mythologiques/féérique (je n'arrive pas tellement à trouver le mot parfait) et on arrête de les implanter dans un univers trop semblable au notre. Dans ce cas le spectateur sait qu'il va voir une histoire inventée de toute pièce et peut "déconnecter son cerveau" et accepter tout sans analyse (il va de soi que quand je dis "tout", je parle des aspects "magiques" : les super-héros, même armés de pouvoirs, ne doivent pas avoir des réactions stupides).
- ou on fait un film de super-héros ancré dans "notre" univers/époque, mais il doit tenir la route, pour qu'on ne tique pas tous les quarts d'heure parce qu'une aberration vient d'apparaître, qui n'aurait sa place que dans la catégorie de film précédente. "The Dark Night Rises" ferait partie de cette catégorie ; sauf qu'il y a ces aberrations, ou maladresses, que l'on relève facilement quand on re-réflechit au scénario en sortant de la salle de cinéma. Par exemple, j'ai été choquée que ce film - toujours dans son optique de film "proche de notre réalité" - , prétendant donner une grande importance au peuple (cf. les discours de Bane qui déclare sauver le simple citoyen de Gotham) ne le montre pas plus.
Ou on fait du pseudo-réalisme de film de super-héros, ou on fait un grand foutoir magique qui met des étoiles dans les yeux.
Critique à suivre...