The Dark Knight était déjà rentré dans la catégorie très select des films dont la suite est plus réussie que le premier volet, rejoignant ainsi notamment Terminator, ou Mad Max ; malgré des attentes démesurées, rendues plus longues encore par la parenthèse visuellement bluffante d’Inception, le dernier opus de la trilogie Nolan avait bien des chances de se planter.
Nolan est parvenu à un point de sa carrière où il pense pouvoir se permettre le pilotage automatique. On retrouve donc bien des caractéristiques de son cinéma, que ce soit dans l’abus d’une BO continue, le principe des récits alternés ou la plaisir de filmer la ville. La séquence d’ouverture, plutôt efficace, donne le ton : la maîtrise est évidente, la partition bien tenue. Reste à raconter une histoire, qui prend directement la suite de l’épisode précédent, et d’une ville tombée dans une sorte de fascisme reposant sur une légende fallacieuse, belle illustration de la retraite anticipée du justicier. Cette reprise du pessimisme politique est de bonne augure, mais ne parviendra pas à convaincre dans son développement. La faute, principalement, à un méchant qui ne fait pas le poids. On a beau reprendre l’idée d’une mise à l’épreuve de la foule – ici embarquée dans une révolution populaire en forme de revanche sociale – la mascarade se prend bien trop au sérieux, occasionnant de pesantes dissertations, et des trahisons à répétition qui, loin de complexifier les personnages, visent surtout à alimenter une mécanique narrative qui tourne un peu à vide. De la même manière, la mise à l’écart de Wayne, enfermé dans un gouffre en position de spectateur, rappelle l’initiation préalable du premier volet, dans lequel il devait quitter le monde pour mieux le rejoindre ; à la différence qu’ici, cela ménage un grand trou d’air qui étale inutilement un film bien trop long. On a beau vouloir opérer une greffe avec le premier volet pour donner le sentiment d’une complétude
C’est d’ailleurs le grand paradoxe de ce récit que son déséquilibre rythmique. La densité du nombre de personnages (Robin et Catwoman en formation au long cours, une bonne idée pour tenter de leur donner une âme) et des intrigues le dispute à des événements qui font irruption de manière bien trop abrupte, que ce soit la sortie de retraite de Bruce ou son retour aux affaires après la parenthèse carcérale. Si l’action reste bien menée (la poursuite à moto avec les otages attachés en guise de bouclier, par exemple), la grandiloquence imposée par le chapitre final gâche beaucoup de ce qui faisait l’habileté du Dark Knight : que ce soit cette explosion du stade ou ces éléments on ne peut plus convenus (une bombe nucléaire, un compte à rebours, et même un yellow school bus), rien ne nous est épargné. Alors que le grotesque acide donnait toute sa saveur au Joker, c’est un ridicule involontaire qui gangrène la prestation de Tom Hardy, complètement occulté par son respirateur et ses muscles, ou le décès devenu mythique de Marion Cotillard, qu’on revoit désormais avec un plaisir qui fait pas mal de tort à ce final.
On aurait pu attribuer ces lourdeurs à une franchise qui devait bien se terminer en crescendo, et excuserait en cela la manière dont un bon cinéaste leste son esthétique. La suite de son œuvre laisse assez songeur néanmoins, tant la dimension formelle et l’emphase semblent avoir depuis phagocyté son propos. Mais le bonhomme étant lent à la besogne, ce qui est tout à son honneur, on ne s’en réjouit pas moins de donner une chance à son prochain essai.