La trilogie que Nolan a consacré au Caped Crusader marque avant tout le spectateur par la cohérence entre chacun de ses opus. Nolan, loin de se contenter d'évoquer les grandes heures du comic original, aura privilégié avant tout la psychologie du justicier tout en le confrontant à toutes sortes d'épreuves et d'adversaires afin d'en tirer le cheminement intrinsèque au Héros tel qu'il fut défini par le théoricien Joseph Campbell dans son essai Le Héros aux mille et un visages. Selon Campbell, la figure héroïque à travers les âges, les mythes et les oeuvres, obéit à un schéma quasi-similaire. Loin d'être infaillible et incorruptible, le Héros campbellien peut se voir non seulement tenté de suivre des motivations purement égoïstes (Anakin Skywalker par exemple) mais aussi être fragilisé en cours d'histoire par un échec à priori insurmontable. En cela le parcours de Bruce Wayne tel que défini par Nolan est des plus représentatif de la théorie du monomythe de Campbell, Bruce Wayne ayant toujours dû lutter contre la tentation de la justice expéditive qui culminait lors de sa confrontation avec le Joker (scène du Batpod). Si le motif de la chute du héros était déjà au centre des enjeux dans le précédent film, il se voit ici traité de manière plus frontale et déterminante encore. En cela, Nolan prend pour principale inspiration l'arc Knightfall du comic original lequel voyait au début des années 90 le Caped Crusader trouver enfin un ennemi qui le surpassait à tous les niveaux. Nolan convoque cette même némésis de papier, Bane, un rôle finalement très ingrat qui échoit au talentueux Tom Hardy. Face à ce personnage, le Dark Knight, à nouveau brillamment incarné par Christian Bale, fait un temps pâle figure et se retrouve littéralement écrasé par son adversaire.


Tout comme il l'avait fait avec les deux premiers films, Nolan ne limite pas son inspiration à un seul comic mais construit habilement son intrigue en se servant d'une multitude de références. Sans jamais se contenter de copier facilement les intrigues des comics originaux, le cinéaste en réadapte habilement les moments déterminants pour alimenter son propos principal axé sur le cheminement du héros. Celui-ci d'ailleurs ne fait pas que subir une métamorphose morale mais il influence son environnement par sa seule présence. Dans le comic (et cela est d'autant plus évident dans Un long Halloween) les super-vilains ne semblent trouver de meilleur prétexte à leur existence que l'apparition d'un nouveau type de justicier, aussi ambigu et effrayant qu'eux. Tout comme dans le comic, les super-vilains de ce triptyque ne semblent finalement exister que pour s'opposer au Chevalier Noir.


L'influence de Batman et les conséquences de sa présence et de ses actes à Gotham City est donc primordiale tout au long de la trilogie et trouve pour point d'orgue ce cataclysme social initié par Bane au cours du film. Coupée du monde et s'enfonçant inéluctablement dans la déchéance morale et la guerre civile, la Gotham City du film évoque par bien des aspects celle de l'arc No Man's Land lequel prenait d'ailleurs pour inspiration première le New York 1997 de Carpenter (Un juste retour des choses finalement tend la Gotham de Nolan n'est rien d'autre qu'une transposition évidente de la ville de New York).


Le film brille ainsi par son ampleur visuelle et narrative, se différenciant en cela des autres super-productions consacrées aux super-héros. L'importance des événements se voit traduit à l'image par le gigantisme des décors et la profusion de figurants. Si les films de la Marvel sont plus ou moins réussis, ils ont longtemps eu en commun de toujours limiter leur toile de fond à la présence de quelques figurants (ce n'est que depuis la moitié de la phase 2 que la Marvel ne lésine plus sur la surpopulation à l'image). Chose que l'on ne peut évidemment pas reprocher à ce TDKR tant tout Gotham semble grouiller de vie du début à la fin. Chaque quartier, chaque recoin de la métropole exhale la présence de ses habitants et lorsque les rues font place au chaos et à une forme de Terreur révolutionnaire, la panique qui en découle devient palpable, éminemment tragique.


Malin, Nolan retire ensuite progressivement tout espoir aux habitants de Gotham en l'absence du justicier et cela pour mieux souligner son importance. Conditionné par un deuil impossible, Bruce Wayne a finalement moins subit l'influence de Gotham qu'il n'en est devenu indispensable à la ville. En son absence, la résistance s'organise tant bien que mal et le cheminement des protagonistes restants se télescopent jusqu'à bâtir une tragédie à grande échelle.


On pourra cependant reprocher au scénario d'articuler ses enjeux autour d'un simple MacGuffin. Là où le scénario de The Dark Knight se passait d'un tel procédé scénaristique, celui de The Dark Knight Rises porte indéniablement la patte de David S.Goyer (associé une fois encore à Jonathan Nolan) lequel a pour habitude de bâtir une grande partie de ses intrigues autour de MacGuffins plus ou moins biens trouvés (Predictions, Batman Begins, Man of Steel). Ici, le procédé sert surtout à justifier le climat de chaos qui règne à Gotham tout en orientant le dernier axe vers une traditionnelle course à la montre. Un procédé d'envergure susceptible de réunir dans une dernière bataille chacun des acteurs majeurs de l'intrigue.


Certes, le scénario pâtit de quelques incohérences plus ou moins flagrantes là où les précédents opus en étaient dénués. On a beaucoup reproché par exemple, le trop rapide retour de Bruce Wayne à Gotham une fois sorti de sa prison à l'autre bout du monde. Ce que l'on peut prendre comme une incohérence n'est finalement qu'une ellipse de taille et une forme de facilité narrative pour ne pas handicaper le rythme de l'histoire. Bien sûr, l'ultimatum est ici délibérément ignoré mais TDKR est loin d'être le premier film à céder à ce type de facilité. Des détails comme cela, on en trouve d'autres dans le film, bien assez pour braquer les spectateurs, jusqu'aux fans inconditionnels du précédent volet. Mais s'arrêter à ce genre de détail équivaut à ignorer purement et simplement la formidable portée dramatique de l'intrigue.


On remarquera que chacun des films de la trilogie s'ouvre sur un plus large territoire que le précédent et démontre l'influence du Caped Crusader. Si le premier film était un hommage au film noir et le second un thriller urbain de haute volée, le troisième film prend les atours d'une fresque guerrière digne des plus grands chef d'oeuvres du genre. Un changement de registre qui aurait pu perdre en cohérence si Nolan n'avait pas mis un point d'honneur à situer ce troisième film dans la continuité du précédent opus. L'intervention du Joker, lequel ne sera pas cité une seule fois du film, aura anéanti moralement et physiquement le justicier jusqu'à le contraindre à se retirer. Huit ans plus tard, les répercussions de ce "vulgaire pugilat" sont toujours palpables et ce sera finalement l'intrusion dans le manoir d'une séduisante cambrioleuse qui déterminera le retour maladroit de Bruce Wayne puis de Batman à Gotham.


Mais loin d'avoir la même aura que dans le précédent film, le justicier se heurte très vite à un adversaire en apparence invincible. Fragilisé puis anéanti par le terrible Bane, le héros se voit précipité dans un gouffre dont il n'est pas censé revenir. Son abandon dans les tréfonds d'une prison souterraine à l'autre bout du monde permet dès lors au récit de s'affranchir temporairement de l'influence du justicier. Alors que Gotham s'embrase et cède au chaos le plus total, le protagoniste semble perdre tout espoir jusqu'à finalement recouvrer force et santé. Entre lui et sa plus grande peur, celle de l'échec, se dresse encore une épreuve à priori insurmontable, celle de l'ascension d'un immense puit symbolique renvoyant évidemment à celui dans lequel il était tombé étant enfant. Ne pouvant plus que compter sur lui-même, le héros s'obstine et persévère jusqu'à risquer une nouvelle fois sa vie, seul moyen de dépasser sa peur. Au bout de cette épreuve, il pourra enfin revenir plus fort et sûr de lui, prêt à affronter une nouvelle fois sa némésis.


Tout ce passage dans la prison renvoie encore une fois à la conception du monomythe de Campbell. Comme Georges Lucas ou les Wachowski avant lui, Nolan aura mit un point d'honneur à en respecter la théorie tout le long de sa trilogie. Ainsi selon Campbell, le héros doit renoncer à ses premiers repères et partir à l'aventure à travers le monde (Batman Begins). Là il y trouve généralement un mentor qui lui apprend tout ce qu'il sait (Ducard/Râ's al ghul) et dont l'influence se prolonge au-delà de cette formation (le fantôme de Râ's hantera à nouveau les images de TDKR). Généralement ce mentor fait don à son élève d'une arme dotée de pouvoirs magiques, élément symbolique traduit par l'enseignement de Râ's qui offre à Bruce la connaissance et le pouvoir. Dans un premier temps, le héros selon Campbell doit affronter une première épreuve censée l'amener à se faire des ennemis et à forger des alliances (Gordon/Dent et le Joker). La seconde épreuve voit le héros descendre dans un endroit dangereux dont il n'est pas censé revenir, un lieu sous-terrain où est caché l'objet de sa quête. Pour Bruce Wayne il s'agit du puits où est finalement enfoui le secret de sa force perdue. C'est là aussi que le héros doit affronter la plus grande de ses peurs, en général une bête mythologique, représentée ici par la chauve-souris. Mais dans la prison, c'est surtout la peur de l'échec et celle de mourir qui paralyse Bruce. En général, dans les histoires où elle est appliquée, cette épreuve semble tellement insurmontable qu'on en vient à envisager l'échec du héros. Pourtant celui-ci triomphe et ressuscite en revenant au monde, plus fort que jamais pour affronter une dernière fois sa némésis et restaurer la société (ici Gotham livrée au chaos). La trajectoire du héros se conclut alors par la réconciliation de celui-ci soit avec son adversaire, son père ou avec les dieux. Dans The Dark Knight Rises, Batman se réconcilie avec lui-même ainsi qu'en bout de course avec son père de substitution (Alfred). C'est là que le héros est censé sortir transformé de son expérience, désormais conscient de sa valeur et libéré de toutes ses peurs.


On le voit, à travers sa trilogie Nolan détournait respectueusement le monomythe de Campbell pour l'appliquer à Batman. Et tout cela en collant au plus près à la mythologie du personnage original. Il alimentait ainsi son (ses) film(s) de diverses références aux comics tout en détournant habilement certains personnages emblématiques.


Entre les alliés et les ennemis, se distinguent ainsi plusieurs figures incontournables du comic, judicieusement intégrées à l'intrigue. C'est ainsi que sous les traits félins d'Anne Hathaway, Selina Kyle fait enfin son entrée dans le Batverse de Nolan, et si chacune de ses apparitions deviennent déterminantes à l'intrigue, c'est parce que le personnage est des plus imprévisible et ambigu. Constamment sur le fil du rasoir, Selina Kyle représente en cela la colère des plus démunis à l'encontre des nantis et préfigure l'anarchie populaire du dernier tiers. En cela, le personnage est plus fidèle à la Catwoman du comic (un nom qui n'est jamais cité dans le film) que ne l'était peut-être celui de Batman Returns. Mais pourtant, malgré tout son talent et son charme, Anne Hathaway ne parvient pas vraiment à faire oublier la performance schizophrène et dérangeante de Michelle Pfeiffer dans le chef d'oeuvre de Burton (mais cela n'est que mon opinion). De même, le personnage incarné par Marion Cotillard, pas toujours très convaincante ici (comment ça "Aaargh" ?), n'est finalement qu'un simple ressort dramatique, son idylle avec Bruce étant traité de manière trop secondaire pour pouvoir faire illusion.


Si l'on remarquera le réjouissant caméo de Cillian Murphy, le camp des antagonistes se voit ici presque exclusivement occupé par le colossal Bane, incarné par Tom Hardy. Le bas du visage recouvert d'un masque semblable à une muselière (Fury Road avant l'heure), l'acteur compense habilement cet handicap en donnant à son personnage des accents nobles et une gestuelle éloquente. Moins marquante que le Joker, cette némésis arrive toutefois à retranscrire à merveille la menace qui plane sur Gotham.


A ces personnages tous issus des comics s'ajoute celui, totalement original et crée pour l'occasion, du jeune flic idéaliste John Blake, interprété par Joseph Gordon Levitt qui retrouve pour l'occasion le réalisateur d'Inception. Foncièrement intègre, Blake apparaît très vite comme un personnage ayant pris pour modèle le Chevalier Noir et dont il vient à déplorer l'absence. Issu des bas-fonds de Gotham, il représente le principal héritage du héros. Preuve en est d'ailleurs cette fin ouverte qui laisse imaginer tout un réseau de séquelles possibles, mais que l'on ne verra évidemment jamais.


Il y avait fort à parier que Nolan ne réitérerait pas l'exploit de The Dark Knight. La mort tragique de Heath Ledger aura sérieusement déterminé l'évolution de ce troisième film jusqu'à contraindre le réalisateur et ses scénaristes à renoncer au film qu'ils avaient tout d'abord envisagé. Par respect pour Heath Ledger, Nolan abandonna complètement l'idée de réemployer le personnage du Joker (le troisième film devait à l'origine se concentrer sur le procès du terrible clown) et se tourna vers celui de Bane et le défi physique et moral que représente celui-ci, orientant dès lors le métrage vers un tout autre rapport de force. Mais ce troisième film, même s'il ne se hisse pas au niveau d'excellence du second opus, reste néanmoins supérieur à la plupart des films du genre par son ampleur visuelle, narrative et émotionnelle. Fidèle à lui-même, le réalisateur du Prestige et d'Inception arrivait habilement à concilier le cahier des charges d'un bon blockbuster avec sa vision personnelle du mythe du (super)héros. Qui plus est, il y concluait magistralement la trajectoire dramatique de son protagoniste et imposait durablement le Chevalier Noir comme le chef de file incontesté des vigilantes à l'écran.


Reste à savoir si Batman gardera toute sa magnificence face à l'homme d'acier. Réponse dans un mois.

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le 24 févr. 2016

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Buddy_Noone

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