This is the end of the world (and we blow it)


Il est toujours plaisant de voir un cinéaste de renom sortir de son registre de confort. Lorsque Jarmush s’était essayé au film de vampires (Only lovers left alive), les passerelles avec son univers avaient été assez évidentes, pour une odyssée culturelle et référentielle sur l’éternité mâtinée d’une esthétique ténébreuse.


Le pas de côté qu’il fait aujourd’hui est plus radical : il nous livre ainsi une comédie sur les zombies qui ressemble à un règlement de comptes par l’absurde sur son rapport au monde, voire à l’artificialité inhérente au cinéma.


La première partie du film a pourtant tout des retrouvailles : le casting all-stars réunit les fidèles au sein d’un univers familier, dans lequel la posture impavide de Bill Murray donne le ton : une ville américaine bien paumée et opportunément nommée Centerville, son alignement de lieux incontournables (le commissariat, le diner, la ferme), et une succession de portrait dont la portée ironique est plus qu’évidente. On pourrait presque penser à Twin Peaks durant cette exposition qui prend soin d’accumuler les poncifs avec un sourire en coin, le tout sur un rythme vaguement neurasthénique comme seul Murray sait en insuffler.


Le dérèglement de cette routine va être d’abord climatique, clin d’œil farcesque de Jarmush à l’Amérique du Trump et son scepticisme, qui amuse toujours les salles cannoises réunissant la presse internationale. La fracturation des pôles entraîne une modification de la rotation de la Terre, et tout part en sucette.


Le message a l’air de se situer dans cette posture : puisque la fin du monde (réel) est annoncée et que nous nous en foutons, autant en parler en sabotant à peu près tout. Cela peut fonctionner un temps (le personnage raciste de Buscemi, par exemple, l’apparition assez délicieuse d’Iggy Pop, ou le regard à double tranchant sur les « hipsters de Cleveland » et la malice avec laquelle Jarmush règle son compte à l’une de ses jeunes stars, Selena Gomez) et le duo formé par Murray et Driver déborde de charme.


Mais le cinéaste a décidé de mettre tous les curseurs dans le rouge, et de questionner jusqu’à la fiction elle-même, à la manière d’un Dupieux ou d’un Blier : son film sera méta ou ne sera pas. La première incursion par surprise à propos de la chanson titre qui passe partout et que le personnage de Driver mentionne explicitement joue l’effet de surprise, même si on n’en demandait pas tant. Le fait qu’on voie cet acteur rouler en smart lorsqu’on se souvient qu’il pilotait un bus pour Jarmush dans Paterson est un clin d’œil réservé au connaisseur, et qui contient sa dose de malice. Mais lorsqu’on évoque le script, le porte clé Star Wars ou les références continues (à Romero, à Psychose, la tombe de Samuel Fuller…), on dérive vers l’embarras franc.


Il en va de même pour l’absurdité croissante du script en question : Jarmush joue, qu’il le veuille ou non, sur deux tableaux. Il lâche la bride (décapitations et gore, Tilda Swinton en mère adoptive de The Bride de Kill Bill) tout en gardant sa tonalité (impassibilité du duo de flics, rythmique répétitive et passivité générale face au désastre, toujours accompagné de cette country bien confortable), il se moque sans jamais quitter sa pose de contempteur.


Le personnage d’ermite incarné par Tom Waits résume à lui seul cette position : à l’écart, lucide, cynique, il contemple une fin du monde qu’il avait comprise avant les autres. Si la farce avait fonctionné un temps (voir les zombies rechercher du wifi, du Xanax ou du Chardonnay est assez amusant), la lourdeur avec laquelle on surligne le message est de plus en plus gênante, jusqu’à ce discours off final qu’on avait tous compris depuis belle lurette, c’est-à-dire avant le film, il y a de cela 40 ans, chez Romero par exemple. Et, à l’image du personnage de Tilda Swinton laissant la Terre à son triste sort, on quitte le film en l’abandonnant, nos regrets allant à ce qu’il aurait pu être et non à la tristesse maladroite qu’il distille.

Sergent_Pepper
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