La terre tremble !
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le 7 févr. 2021
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Il ne faut pas se laisser abuser par l’imagerie initialement déployée par The Dig : sa photo laiteuse, sa musique un peu trop insistante et ses jolis portraits compassés semblent en effet nous préparer à une romance inepte sur qui convoquera maladie du cœur, guerre mondiale et amours contrariées.
Tout ces éléments seront certes bien présents, dans une esthétique qui rappelle Malick (grand angle dans les champs, hautes herbes et personnages en pleine introspection), mais ne sont en définitive que des accessoires ornementaux au profit d’une ligne de basse qui mérite notre écoute.
L’intrigue, très britannique, permet donc la rencontre entre un excavateur et une riche propriétaire qui fait fouiller son terrain, dans un Suffolk de carte postale. Différence de classe pour cœurs meurtris (madame est cardiaque, veuve avec enfant, monsieur est vieillissant, marié et sans enfant) font poindre un mélo des campagnes. Mais la découverte d’une pièce archéologique de premier ordre vient rebattre les cartes.
Très vite, le couple initial se voit presque dépossédé de son premier plan, par l’arrivée de nouveaux personnages qui prennent, d’une certaine façon le relai : un sang neuf qui acte clairement un moment passé pour les premiers, et la possibilité de vigueurs sentimentales reportées sur une autre promotion. Du haut des monticules, ou depuis un fauteuil qui ressemble fort à celui d’un cinéaste, les voila devenus spectateurs attendris d’autres vies que la leur.
Tout le récit jouera de ces contradictions : alors qu’on creuse la terre d’un passé fertile, le ciel s’obscurcit de l’imminence du conflit mondial. Les immenses plans d’ensemble placent les personnages entre deux entités qui, discrètement, mais sans jamais se taire, leur rappellent tous les motifs de l’urgence à vivre le présent.
La modeste comédie humaine qui se joue dans la polyphonie d’un groupe va ainsi permettre toutes les désinences d’un effacement annoncé à toutes les générations : la fin d’un amour, l’émergence d’un autre coïncide avec un adieu, l’anonymat du modeste découvreur, la perte du souffle ou l’apprentissage, pour l’enfant, d’un deuil à venir.
Le chantier fait ainsi l’objet de mouvement multiples et presque contradictoires : creuser vers le passé pour mettre au jour des révélations sur l’Histoire (No longer dark ages, proclame l’archéologue), excaver pour enrichir le présent, et se pencher sur la fosse qui les attend tous, en questionnant la vanité de ces instants dérisoires au regard de la poussière à venir.
L’apprentissage de la défaite, à travers la crue et intense leçon de Fiennes au jeune garçon (We all fail. Every day) conduit à interroger, par ce rapport à un passé ancestral restée silencieux pendant des siècles, à l’inévitable question de la mémoire. Alors que ce qui reste se résume à des objets, les personnages y substituent une force immatérielle : la jeune épouse laisse choir son alliance pour saisir un moment dont l’authenticité sera renforcée par l’éphémère, son mari s’envole avec un sourire dans lequel se mêlent déchirure et gratitude, le jeune homme dévoile par le cadrage de ses clichés ce que les mots n’avaient pu dire, l’enfant permet à l’imaginaire d’accepter l’inévitable, et la femme laisse un nom à graver dans l’Histoire.
La mise en scène s’était dès le départ fait le relai discret de cette posture : ainsi des paroles, qui chevauchent les séquences et se transforment en voix off, puis d’une légère déconstruction temporelle pour souligner les possibles entorses à la chronologie. Ainsi de cette nuit décisive qui clôt le récit, et entend figer un présent épiphanique : une coda modeste où la vie aura bien eu lieu.
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le 1 févr. 2021
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