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Le film de Spielberg s’ouvre et se clôt sur des scènes consacrées au cinéma.
Dans la scène d’ouverture, le petit Samuel, alter ego de Spielberg, alors âgé de cinq ou six ans, est menacé d’aller au cinéma, ce qui, visiblement, constitue un calvaire pour lui. Le petit garçon pleure devant l’entrée du cinéma, car pour lui, aller voir un film dans une grande salle plongée dans le noir, c’est trop d’émotion. Il a peur de ce qu’il voit à l’écran, il a peur que les émotions qu’il va ressentir ne soient trop fortes, qu’elles ne l’emportent trop loin.
Comme toujours dans ce genre de situation, les parents cherchent à rassurer leur enfant, disant que tout se passera bien, qu’il n’a rien à craindre. Et pourtant, c’est bien ce qui va se passer dans cette salle obscure qui va déclencher à la fois le récit du film, et la passion du jeune Sammy/Stevie pour le cinéma.
La remarquable scène finale permet, quant à elle, non pas tant de clore le récit, mais de l’ouvrir sur autre chose : c’est une nouvelle partie de la vie de Samuel qui commence alors, il est du coup parfaitement légitime de finir ce film ici.
Ces deux scènes encadrent un récit qui est donc, à proprement parler, pas un film sur la vie du jeune Samuel, mais bien sur le cinéma, un immense hommage à un art qui va devenir une passion dévorante, et à ses liens avec la vie réelle. C’est en cela que The Fabelmans est un film passionnant.


Le cinéma a donc plusieurs rôles dans ce film.
Il s’agit d’abord d’une passion qui va envahir la vie de Samuel. Après la scène d’ouverture, où la famille est allée voir Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille, le garçon va être littéralement obsédé par une scène du film, celle du déraillement du train. Obsédé au point de chercher à la reproduire avec le petit train électrique qu’on lui a offert pour Hanoukka. Samuel découvre la capacité qu’a le 7ème art de faire naître des émotions, mais aussi d’inscrire en nous des images obsédantes, qui nous marqueront à tout jamais.
La seule façon qu’aura Samuel de se libérer de ces images sera de les reproduire. Mais même cela deviendra décevant : Samuel ne pourra reproduire cette scène à l’infini, le train ayant été confisqué par l’autorité paternelle. C’est donc par le biais du cinéma que Samuel va se libérer des émotions liées à cette scène : en la reproduisant, la filmant et se la repassant en boucle. Le cinéma apparaît alors comme ce qui permet à un artiste d’exprimer ses émotions, mais aussi de s’en libérer, s’en affranchir. Le pouvoir cathartique du 7ème art est mis ici en avant, et il reviendra à plusieurs reprises dans le film.
C’est ainsi qui va naître la passion de Samuel pour le cinéma, et sa volonté de raconter des récits. The Fabelmans sera alors ponctué de reproductions que films amateurs que le jeune Spielberg avait réalisés lors de sa jeunesse. Une passion que, comme il se doit, son père, trop scientifique, sous-estime : un simple passe-temps qui ne devrait pas empêcher son film de faire quelque chose de sérieux. Cependant, le cinéma relève de la combinaison entre les intérêts du père et la psychologie de la mère : la sensibilité artistique maternelle et l’intérêt du père pour les technologies.
Mais la différence majeure entre le père et le fils, c’est que Samuel a trouvé avec le cinéma un moyen d’expression. Plusieurs fois, on voit un père gauche, ne sachant pas s’exprimer. Un père qui semble avoir des difficultés à trouver vraiment sa place en société. Il n’est à l’aise que quand il parle d’informatique, mais il est maladroit pour tout le reste, surtout pour exprimer ses sentiments. Il ne semble même pas savoir comment faire des câlins à son fils. Le cinéma apparaît alors comme moyen d’expression, comme un espace dans lequel Samuel peut exprimer ce qu’il ressent.


On ne le dira jamais assez : Paul Dano est un acteur exceptionnel. Il nous en donne encore la preuve ici en livrant un interprétation tout en subtilité, campant un personnage fragile. Cette notion de fragilité parcourt toute l’oeuvre. Fragilité d’un père qui est gauche, maladroit, et ne semble jamais être à sa place. Fragilité psychologique d’une mère qui semble sans cesse être en équilibre instable au bord du gouffre. Fragilité d’un couple qui est constamment menacé : menacé par le travail du père qui l’emmène à déménager régulièrement, menacé par cet « oncle » Ben et son attrait pour la père. Fragilité d’un bonheur familial toujours susceptible de voler en éclats. A ce jeu, Michelle Williams est extraordinaire. J’avoue que j’avais toujours sous-estimé cette actrice, qui révèle là une grande qualité de jeu.
Dans ce monde de fragilité, dans cette vie d’une famille qui se révèle progressivement être au bord du gouffre, la seule stabilité pour Samuel provient du cinéma. C’est la pratique amateur du 7ème art qui donne au garçon sa force et lui permet de traverser les épreuves de sa vie quotidienne. Mieux : seule la pratique du cinéma constitue une progression dans le film, les films qu’il réalise s’améliorent et deviennent plus ambitieux à chaque fois.
La passion pour l’art apparaît vite comme essentielle dans la famille. Nous avons la mère pianiste, mais aussi et surtout cet oncle, qui arrive d’on ne sait où juste le temps d’une petite scène (un peu téléphonée, il faut bien l’avouer). Un oncle qui vient du monde du cirque (encore une référence qui renvoie à Sous le plus grand chapiteau du monde, œuvre séminale du film de Spielberg) et qui permet de mettre en avant l’image de l’artiste-saltimbanque, image qui sous-tend l’ensemble du film. Entre les bohémiens et le réalisateur amateur bricolant son film dans sa chambre, il n’y a pas de différences.


Le cinéma sert aussi de rapport à la réalité, que ce soit pour s’en approcher, en prendre conscience, ou pour s’en éloigner, s’en protéger.
Ainsi, c’est dans une scène digne de De Palma que le jeune Samuel fait une découverte concernant sa mère. Cette séquence où il découvre la plus-que-probable relation entre sa mère et « Oncle Ben » semble directement tirée de Blow Out.
Mais le cinéma permet aussi à Samuel de fuir la réalité. C’est un monde rassurant qui protège contre les épreuves diverses. Ainsi, après l’annonce dramatique faite par les parents en Californie, la seule réaction de Sam est de s’isoler pour faire le montage du film sur l’école buissonnière.
En bref, plus qu’un film sur la vie d’un personnage, plus qu’une autobiographie filmique, The Fabelmans est avant tout un hommage au cinéma. C’est un film sur le cinéma, sa place dans la vie de Spielberg, mais aussi sur le rôle du cinéma comme expression artistique, avec tout ce que cela implique : divertissement, regard sur le monde, moyen d’expression des émotions, de recherche de la vérité, etc. Chaque séquence du film est liée au cinéma et fait progresser Samuel dans son chemin de cinéaste (avec ce défaut habituel des biopics qui, proposant un regard rétrospectif, font croire que les personnages sont destinés à devenir ce qu’ils sont devenus, que le chemin est logique et le résultat inéluctable). Clore un tel film par la scène de la rencontre avec John Ford, et faire interpréter le réalisateur de Stagecoach par le réalisateur de Mulholland Drive, ne fait que renforcer cet hommage au 7ème art sans pour autant n’être qu’un détail cosmétique.

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le 9 janv. 2023

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SanFelice

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