Unplugged
J'aime ce cinéma unplugged, fiction quasi documentaire. The Florida Project colle à la vie quotidienne d'une maman et sa fille. La caméra est à la hauteur des 1m20 de la gamine et la suit dans les...
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le 1 févr. 2019
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Et dire que j'ai failli le rater ! Heureusement, mon ciné l'a prolongé d'une semaine et il se hausse donc, in-extremis, dans mon top 10 de 2017 !
"The Florida Project" séduit dès son ouverture sans que quoi que ce soit d'exceptionnel n'apparaisse. Cette réalisation caméra à l'épaule pour filmer la misère des quartiers populaires américains, on la trouvait déjà dans les (très bons) films d'Andrea Arnold, "Fish Tank" (qui se passe en Angleterre) et "American Honey" (aussi dans mon top 10).
Mais, à mesure qu'on avance dans le film, on se rend compte que l'ambition de Sean Baker n'est absolument pas de faire une sorte de "documentaire sur les white trash, face cachée du rêve américain". Comme Andrea Arnold, il veut avant tout raconter des histoires humaines, tout en se démarquant de sa consœur. Par exemple, il n'hésite pas à revenir à un formalisme plus "classique", à limiter les mouvements de la caméra ou les plans séquences lorsqu'il le juge nécessaire, ce qui amène de véritables moments qui paraissent "suspendus", qui permettent au spectateur de souffler (les scènes où les enfants jouent contre un mur du motel, par exemple).
Mais essayons de faire les choses dans l'ordre. De quoi ça parle, "The Florida Project" ? (titre énigmatique s'il en est)
Une jeune mère fauchée et sa fille de 6 ans voyagent de motel en motel, comptant sur la compréhension des employés pour pouvoir louer une chambre à moindre frais, dans la zone "populo" qui entoure le parc de Disneyland. Notre petite héroïne (puisque c'est surtout elle que nous suivons) s'entoure vite d'une bande de sales gosses avec qui elle fait les 400 coups (cracher sur des voitures, couper l'électricité du motel...).
Et en effet, "The Florida Project" est un film sur l'ennui. L'ennui de ces enfants qui débordent d'imagination et d'énergie, mais dont le terrain de jeu se limite à des bâtiments miteux et un peu de nature. En cela, et ce malgré le background social particulier de la petite troupe, il est assez déstabilisant de voir à quel point cette lutte contre l'ennui parle à l'enfant qui est encore en nous. Imaginer des histoires fantastiques à partir d'objets du quotidien, transformer un banal motel en un terrain de jeu... Et ce sentiment est décuplé grâce aux performances incroyables du jeune casting, l'héroïne en tête. Roublarde, espiègle, naturelle, touchante, tout sonne juste.
Ces scènes de jeux donnent d'ailleurs lieu à de dialogues très drôles, et aucunement forcés.
Sean Baker met également en scène les autres occupants du motel, sorte de microcosme fonctionnant en huis-clos. Les tâches et les rôles sont répartis. Bobby (interprété par le génialissime Willem Dafoe qui trouve enfin un rôle à sa hauteur, cette année), est l'employé qui gère la sécurité, l'accueil, les problèmes techniques, les loyers... La copine de la mère, employée dans un restaurant, fournit gratuitement des gaufres. La grand-mère, nouvelle arrivante, incarne une certaine droiture.
Entre ces personnages, des tensions se créent, des conflits éclatent, mais tous sont animés par un but commun: Protéger l'innocence des enfants. Et c'est là que le film devient vraiment original et se démarque de ce qui a pu se faire dans le genre.
Lorsque le cinéma évoque la misère, il a tendance à mettre en scène des "enfants qui ont grandi trop vite", des pré-adolescents avec un comportement inhabituel pour leur âge, déjà formés aux règles de la rue.
Ici, à l'inverse, le motel est une sorte de cocon, dont les murs roses sont constamment menacés d'être tachés par la perversion sexuelle, la prostitution, la violence. Tout le monde le sait, et tout le monde fait de son mieux pour cacher aux enfants ce qui est pourtant évident pour le spectateur.
Et c'est là que le moindre des personnages secondaires devient fascinant. Le personnage de Willem Dafoe est d'une incroyable justesse. Hésitant constamment entre autorité et protection, entre gravité et humour, son rôle est celui d'un équilibriste. Le personnage de la mère en détresse est également admirable car, là où la petite fille ne voit que la facette enjouée de sa mère, le spectateur connaît le poids qu'elle porte, qui menace à chaque instant de briser les illusions.
Les enfants restent des enfants jusqu'au bout. L'intrusion de la réalité dans le cocon fantasmé en sera d'autant plus dure, belle, et bouleversante.
Baker réussit à ne pas tomber dans la critique lourdingue de l'Amérique, à ne pas opposer machinalement la "vitrine" de Disneyland à la réalité sociale qui l'environne. Le spectateur est d'ailleurs étonné lorsque le parc fait irruption dans les dernières secondes du long-métrage.
"The Florida Project" est avant tout un film sur les relations humaines, une étude sociologique dont le motel serait le terrain d'enquête. Sauf que, bien loin de réduire ses acteurs à des critères sociaux, de les catégoriser, Baker met en exergue leur humanité, leur complexité, leur universalité.
Les enfants veulent juste jouer. Les adultes se démènent pour que le jeu dure un peu plus longtemps.
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Créée
le 14 janv. 2018
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