C’est armé de ses forces et faiblesses de réalisateur génial que Wong Kar Wai s’attaque à la biographie d’Ip man, maître et formateur de l’aujourd’hui légendaire Bruce Lee. Loin du diptyque In The Mood For Love/2046 sur le fond, la beauté formelle qui, de film en film, s’impose comme l’identité du réalisateur, atteint ici des sommets auxquels les arts martiaux ne sont pas étrangers.

Que l’on soit adepte de Wong Kar Wai ou des arts martiaux, ou encore mieux des deux, on reste fasciné par l’imagination sans cesse renouvelée d’un créateur d’images. Jusqu’ici, il semblait se contenter de « peindre » à même la pellicule, étalant négligemment son talent de metteur en scène capable de transformer une rue crasseuse en œuvre d’art. Mais ici il va plus loin et met ces tableaux en mouvement, transformant chaque combat en une danse irréelle où chaque trait de lumière, chaque goutte de pluie, chaque morceau de vêtement, participe d’une chorégraphie étudiée à seule fin d’émouvoir le regard.

Comme depuis In The Mood For Love, la musique, encore une fois splendide et presqu’unique univers sonore, prend toujours plus de place, transformant chaque plan, chaque mouvement en émotion pure plus que des mots ne pourraient le faire. Ces mots sont peu présents d’ailleurs, peut-être parce-que Wong Kar Wai aime prendre son temps. Réalisateur méditatif, il aime donner à chaque détail visuel l’importance et la portée qu’il mérite et n’aime pas s’encombrer de mots superflus. Le silence, tout assourdissant qu’il soit, ne l’effraie pas.

Les femmes, une fois de plus, resplendissent devant une caméra guidée par le regard amoureux du metteur en scène. Ses yeux savent caresser avec dévotion et respect la beauté féminine jusqu’à la rendre irréelle. Wong Kar Wai est comme l’alter-ego cinématographique de Milo Manara il sait, comme le dessinateur et quelle que soit la personnalité de ces femmes, y trouver cette beauté qu’il rend, par touches de ralentis, totalement fascinante jusqu’au surnaturel. Ziyi Zhang, ici femme de tête, devient ici inaccessible tant elle révèle une beauté hors du commun.

Son point faible reste cependant le même. Wong Kar Wai, s’empêtrant dans une trame narrative brouillonne qu’il voudrait aussi innovante que ses images, se perd dans une histoire mal montée et nous égare avec lui. Il faut alors rendre justice à ceux qui le lui reprochent, affirmant que de belles images ne suffisent pas à un bon film. Ses qualités de plasticien restent pourtant tellement hors normes qu’on lui pardonne, avides que nous sommes, pendant deux heures, de connaitre la fulgurance visuelle à suivre.

Sans toucher la grâce d’In The Mood For Love, The Grandmaster reprend les traces et les codes qui font la réputation du chinois, qui semble doté d’une créativité graphique abyssale dont nous ne semblons pas près de voir le fond. On se croirait dans un grand restaurant, dégustant un plat un peu moins bon que la dernière fois mais dont la présentation, encore plus soignée, relève du génie. Alors c’est vrai, Wong Kar Wai n’est peut-être pas un « artiste complet », mais pour ce qui fait aujourd’hui sa spécificité, il est un absolu maître à penser qui laissera une trace indélébile dans les yeux de beaucoup de spectateurs.
Jambalaya
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le 10 sept. 2013

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Jambalaya

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