Blow In
On connaît suffisamment la vitalité du "polar scandinave", en littérature du moins, pour faire confiance les yeux fermés à ce petit film conceptuel danois qui nous arrive auréolé de critiques...
Par
le 19 juil. 2018
60 j'aime
22
Un concept a-t-il valeur de pitch ? Pour ce premier film danois, tout porte à le croire : soit un huis clos rivé à un opérateur de Police Secours, pour 85 minutes sous haute tension lorsqu’il se retrouve à devoir gérer à distance une affaire de meurtre et kidnapping.
The Guilty est un film dénué de contre-champ, et qui joue dans son écriture de ce même handicap. L’opérateur en question est lui-même, sous le coup d’une mesure conservatoire, retiré du terrain et bouillonne derrière son casque, frustré de cette sanction qui exacerbe son impuissance et sa passivité forcée. Cet ajout d’une intrigue secondaire, distillée avec parcimonie (que se passera-t-il le lendemain ? Pourquoi cette larme ? cet appel d’une journaliste ?) entre en miroir avec la posture du spectateur, à la fois frustré et excité par la situation.
Le concept, déjà exploité récemment dans Locke, à savoir de ne garder qu’un personnage au téléphone, trouve donc ici une dimension autrement plus dramaturgique. Ici, les interlocuteurs agissent, et le protagoniste peut infléchir ou détourner leur course, par les instructions qu’il donne ou les informations qu’il va réunir.
Tout l’art du film consistera donc à donner chair au hors champ : par un travail très fin sur le son, évidemment, qui restitue des ambiances (l’entrée par effraction dans un appartement, le balai des essuie-glaces qui rythme une cavale angoissante, le son sourd d’un habitacle ou d’une brique) et dilate le temps d’attention du spectateur. De ce fait, les prises de vues accusent le coup des risques de la monotonie : la caméra tourne autour de l’opérateur, qui enlève son casque à la fin de chaque appel, geste un peu théâtral et peu crédible censé mouvementer le cadre imposé. Petites maladresses compensées par les jeux d’écriture autrement plus intéressants sur la variation des points de vue, une même situation (dans la camionnette, dans la maison) étant décrite ou verbalisée par des interlocuteurs différents.
Le film aurait pu se contenter d’une enquête à distance : mais la caractérisation du personnage permet d’épicer sa gestion de l’affaire : plus il se prend à vouloir intervenir, c’est-à-dire interagir avec l’extérieur, plus il s’isole à l’intérieur, changeant de salle et tirant les stores pour s’enfermer dans une bulle qui va le conduire à ses propres dérives. D’un habitacle à l’autre, la cavale déraisonnable devient double et double donc la course poursuite d’une réflexion intéressante sur les excès du justicier solitaire. Le twist, certes un peu grossier sur certains points de l’écriture, permet ainsi une versatilité des rôles assez réjouissante et une relance du récit qui fait du sauveur un responsable devant faire face à ses initiatives hasardeuses.
Un concept peut avoir valeur de pitch : mais dans The Guilty, il a l’intelligence d’être un point de départ soutenu par une écriture malicieuse qui sait sublimer sa singularité et faire du manque une valeur ajoutée.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films danois, Concept, Le son au cinéma [liste participative], Vu en salle 2018 et Les meilleurs films de 2018
Créée
le 11 déc. 2018
Critique lue 4.7K fois
99 j'aime
4 commentaires
D'autres avis sur The Guilty
On connaît suffisamment la vitalité du "polar scandinave", en littérature du moins, pour faire confiance les yeux fermés à ce petit film conceptuel danois qui nous arrive auréolé de critiques...
Par
le 19 juil. 2018
60 j'aime
22
Iben, mère de 2 enfants est kidnappée par son ex. Elle contacte les urgences de la police. La communication est coupée brutalement. Pour la retrouver, Asger, le policier qui a reçu...
le 19 juil. 2018
42 j'aime
1
Un policier, Asger Holm (Jakob Cedergren, à la fois sobre et intense, brillant, en un mot, avec, dans certains plans, le profil pur et grave d’Albert Camus...), répond au téléphone, affecté au...
le 12 août 2019
37 j'aime
12
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
617 j'aime
53