Il est difficile de ne pas céder à la beauté qui ouvre The Homesman. Paysage sublimes, étendues à perte de vue, l’herbe et le ciel ouvrent sur des perspectives qui donnent d’emblée aux hommes une place dérisoire.
Et de fait, c’est à un monde balbutiant, celui d’une conquête de territoires bien trop vastes et indifférents pour les individus que Tommy Lee Jones nous invite.
Alors qu’un étrange convoi se prépare, on apprend, par inserts successifs, la raison pour laquelle l’héroïne, Mary Bee Cuddy (Hilary Swank, qui sait muer son énergie des débuts, la boxeuse de Million Dollar Baby, en dureté particulièrement impressionnante) va escorter trois femmes hors des territoires : la folie.
Avec un recul constant, qui mêle la prudence et l’effroi, le récit décline les facettes d’une humanité perdue. Les folles ont des masques de cire, et outre de rares crises, sont déjà dans l’après, fantômes en transit dans un purgatoire continu. Face à elles, les deux protagonistes, Mary et Briggs, incarné par Tommy Lee Jones, se démènent pour tenter d’exister.
Mais rien ne fonctionne, et c’est bien là le sujet réel de The Homesman. Là où se dessinent les rails d’un scénario attendu (solidarité dans l’adversité, amitié, voire amour, parcours initiatique et rédemption), le récit ne va jamais se départir de sa tonalité initiale. Il nous immerge dans un monde où la solitude est la seule solidité sur une mer houleuse, où les demandes en mariage et les actes sexuels sont parmi les plus tristes qu’on ait donné à voir.
L’horreur de la folie (viol conjugal, infanticide, le tout dans des intérieurs superbement éclairés par une lumière blafarde et laiteuse, autre éclat de l’effroi) trouve donc son écho chez ceux qui restent conscients, abimés par la vie et tentant néanmoins de faire avancer un chariot en forme de prison, petite allégorie d’un monde que ne renieraient ni Sartre, ni Beckett.
[Spoils]
Quel avènement possible, dès lors, dans ce monde naissant, celui d’une Amérique perdue dans la plaine, qui semble déjà mourir ?
La mort, bien entendu, même si elle aussi subira le délitement qui gangrène tout le film. Celle des rencontres de passage, pour commencer, et qui ne méritent que ça : le cowboy qui prend pour femme une aliénée perdue, les tenanciers d’un hôtel leur refusant le gîte, et auquel on mettra le feu, dans une holocauste certes graphiquement splendide, mais sans aucun espoir de purification. Une pendaison totalement inattendue, et qui enfonce le clou de la noirceur en refusant à quiconque la rédemption. La profanation des tombes (de l’indien, de la fillette de onze ans) est l’un des grands motifs du film, dont l’unique geste décisif sera cette stèle de bois que fera graver le dernier homme debout, et qui finira par être jetée à l’eau.
The Homesman prend le soin d’ajouter à sa noirceur assez proche de celle des romans de Cormac McCarthy une beauté saisissante. Des paysages, certes, mais aussi de la composition de ses plans, qu’on songe à cette disposition des femmes attachées aux roues de la charrette, ou la scène ou leur responsable les accroupissent pour uriner sur le sol.
L’ultime séquence pourrait résonner comme un tentative de réponse. De ce monde déjà mort et dont on ne sait même pas faire le deuil, le personnage principal quitte la rive sur un bac, entouré par une noirceur qui unit la nuit et l’eau. Ce qu’il reste de l’humanité, c’est un chant grivois, des gorgées d’alcool et des coups de feu dans l’épaisse obscurité. L’image est sublime, et cette insulte à la nuit n’apporte rien, si ce n’est la beauté mélodique de la tristesse la plus profonde.