Alors que la polémique gonflait depuis quelques heures sur la prétendue violence de son film, alimentée par les nombreux claquements de porte lors de la projection officielle au Festival de Cannes 2018, le nouveau bébé de Lars Von Trier est donc enfin arrivé. Comédie dérangeante et nihiliste, crachat gore sur la médiocrité de l’humanité, The House That Jack Built est bien la claque annoncée.


Lars Von Trier n’a pas l’intention de lever le pied, pour le bonheur des uns et le malheur des autres. Il est évident qu’il était difficile voire impossible pour le comité de sélection de mettre ce film en compétition : en pleine période MeToo et en vaste libéralisation de la parole de la femme, l‘impertinence misanthrope du danois, sa violence rêche, son propos totalement « fucked up » sur les relations humaines contrebalancent trop avec les discours politiques et fédérateurs de films comme Les Filles du soleil et BlacKkKlansman présentés en sélection officielle. Là, le cinéaste danois continue ses vociférations narcissiques et égoïstes, enroule son récit de multiples allégories et métaphores comme pouvait le faire le diptyque qu’était Nymphomaniac : Jack raconte les meurtres qu'il a commis sous la forme d'une confession en  voix off à Verge, sur ce qui semble être une séance de thérapie (comme entre Joe et Seligman). Chaque point de récit a une symbolique bien particulière quitte à ce que Lars Von Trier nous donne la leçon (et il en est conscient).


Ou comme atteste cette magnifique idée de lier la joie et le besoin de tuer à travers le jeu d’ombre d’un lampadaire. Après le désir féminin dans Nymphomaniac, c’est à la mort, l’homme et son envie de créer par le meurtre et les pulsions morbides que le réalisateur s’attaque. Pourtant, suite aux rumeurs, aux « on dit » de couloirs qui entouraient récemment le Palais du festival, The House That Jack Built était donc un long métrage insoutenable. Certes, le film, qui est clairement destiné à un public averti, montrera des sévices sanguinolents souvent insoutenables d’un point de vue moral (la scène de taxidermie), comme en témoignera ce segment avec le pique-nique des enfants. Lars Von Trier ne réalise pas un film de serial killer mais dessine les traits, en 5 incidents, de la réflexion initiatique d’un serial killer.


Au lieu d’être trop démonstratif dans les exactions et les sévices, The House That Jack Built est une introspection dans l’inconscient d’un tueur en série, un portrait mental, qui même s’il s’avère parfois pompeux dans sa dialectique, est une manière pour le cinéaste d’exorciser son aliénation. Ne vous méprenez pas, nous ne sommes pas dans Mindhunter : le danois place le curseur encore plus loin dans la folie et l’étude de caractère. The House That Jack Built c’est un peu comme si Schizophrenia de Gerard Kargl avait fait un enfant à C’est arrivé près de vous. Car oui, le film est doté d’une ironie noire ravageuse, d’une picturalité démoniaque, d’une drôlerie presque coupable chez le spectateur : comme ce moment hilarant où Jack revient un nombre incalculable de fois sur le lieu du crime pour s’assurer qu’il n’y a pas de sang sous les meubles.


Outrancier, dévastateur dans sa manière d’accompagner le regard morbide de son personnage principal, malsain, The House That Jack Built est avant tout une possibilité pour Lars Von Trier de parler de lui-même : Jack est une sorte d'avatar fictionnel pour discuter des démons psychologiques personnels du réalisateur. Il l’a toujours plus ou moins fait, mais pas à ce point. Ici, il signe un véritable testament, un brûlot où il rend des comptes sur lui et sa réputation (le segment sur les icônes) et égratigne tout le monde. Ses personnages, cupides ou idiotement narcissiques, les spectateurs et lui-même : il décrit une folie douce, amère qui déteste l’humanité et sa progéniture. Lui-même sait qu’il est damné, que sa quête de perfection restera à jamais inaboutie à cause de sa bêtise et de sa condition d’humain. Il ira droit en « enfer » comme en témoigne ce final graphiquement somptueux (rappelant Antichrist ou Melancholia) dans le Purgatoire.


Mais qu’importe : le discours est rude (tout ce passage sur la culpabilité des hommes et la victimisation des femmes), mais souvent d’une richesse ténébreuse passionnante. Cette histoire de serial killer n’est qu’un prétexte pour le cinéaste, d’enfin parler de lui, de son rapport à l’art et sa manière de faire vivre et créer les œuvres. De ce point de vue-là, le film impressionne réellement : il est rare qu’un réalisateur aussi névrosé s’exprime sur lui-même à ce point. C’est déstabilisant, violent, fumeux, mais surtout intimiste dans son approche. Lars Von Trier préfère l’irrévérence à l’élégance, et c’est tant mieux.


Article cannois pour LeMagduciné

Velvetman
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le 16 oct. 2018

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