1981 : Primus Annus Horribilis
Même si ce téléfilm — ou oserais-je dire ce film, puisque ce mot a pris au fil des années un sens assez péjoratif — ne peut pas s'empêcher de verser dans un pathos conséquent (le sujet est somme toute grave), il n'en reste pas moins, à mon avis, une très belle oeuvre sur un sujet qui est malheureusement trop peu abordé encore aujourd'hui : le VIH, et sa manifestation, le SIDA. J'insiste bien sur cette distinction puisqu'elle est toujours méconnue par beaucoup de jeunes d'aujourd'hui, personnes qui sont pourtant sujettes à ce risque — je ne m'en exclue pas moi-même — : ce qui est vu dans ce film, c'est la descente aux enfers de jeunes hommes, d'individus auxquels l'avenir offrait de nombreuses promesses, et qui n'a même pas su en tenir une seule : une mort digne. Comment ne pas serrer les dents lorsque l'on voit cette mère et cet amant effondrés, contraints de charger le corps du fils littéralement empaqueté sur la plage arrière de la voiture, moyennant cinquante dollars ? Comment ne pas hurler, tout casser autour de soi lorsqu'ils se voient obligés de payer trois milles dollars pour récupérer les cendres de cet être tant aimé ?
"The Normal Heart" offre une approche vivante de l'apparition du VIH aux Etats-Unis, peut-être justement parce que Ryan Murphy est gay et qu'il a dû traversé cette épreuve. Le public peut-il se liguer contre lui ? On peut certainement lui reprocher de ne se pencher de manière sérieuse que sur une seule intrigue, — celle de Felix et de Nel —mais peut-on vraiment l'en blâmer ? Au moins deux personnages succombent au "Gay Cancer" durant le film, et leur mort se révèle très poignante. Pour moi, lier Felix et Ned permet d'avoir une structure narrative cohérente, minée par les dénis, les agonies, les cris et les malheurs — et d'ailleurs, la mort de Felix nous est indirectement rapportée par Tommy.
Il me semble qu'il faille cherche plus loin : "The normal Heart" est d'abord une critique ; critique d'une société qui se trouve incapable d'aider son prochain, et critique d'une société qui ne peut se regarder en face, et ainsi constater son unité dans sa diversité. La notion de nation dans cette oeuvre est pour moi démontée : une seule lesbienne se soit au groupe (constat d'échec donc) et le gouvernement nie en bloc l'épidémie, sans tenir compte des recherches scientifiques. Je n'invoquerai pas le bon sens, car faisant des études d'histoire, je sais bien que faire la part des choses dans le passé est difficile, voire impossible. Tout rejeter sur le gouvernement, comme le fait Ryan Murphy, est une solution de facilité ; la propre responsabilité des gays est trop vite évacuée au tout début du film, et trop souligner à sa fin. Néanmoins, il faut relever que le casting est brillant : même le blondinet qui peut se révéler agacent joue juste. Le pilier de la production — Mark Ruffalo, Matt Bomer et Julia Roberts — s'exécute dans une grâce et une justesse indicible. Matt Bomer mérite par-dessus tout les éloges : la souffrance du personnage, il l'intériorise avec la virtuosité d'un acteur de théâtre : l'on y voit que du feu.
En bref, si je dois réellement livrer ma critique du film : c'est une excellente oeuvre, avec des plans très intéressants, qui donne un assez bon topo de la propagation du VIH à New York et qui surtout puise dans le passé pour mieux mettre en avant l'actualité — je vous rappelle, jeunes gens, je l'on ne guérit toujours pas du VIH ; on vit avec, ce qui est une nuance assez énorme... Un (télé)film donc à voir d'urgence, qui offre non seulement des beaux plans mais une situation historique assez justement interprétée.
PS : Je viens de réaliser que l'onomastique pour le nom "Felix Turner" a également un sens : "Felix" signifiant "sous le signe de la déesse Fortune", on peut y lire "La Fortune (= la roue) tourne". Vu le film, je ne pense pas que ce soit anodin, et cela le rend d'autant plus fort et signifiant.
