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Alors qu’il s’était fait connaître dans le registre modeste du film de genre (The Witch) et du huis clos perché (The Lighthouse), Robert Eggers passe avec The Northman dans la cour des grands : un...
le 12 mai 2022
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Alors qu’il s’était fait connaître dans le registre modeste du film de genre (The Witch) et du huis clos perché (The Lighthouse), Robert Eggers passe avec The Northman dans la cour des grands : un budget multiplié par 6, un récit historique et une ambition visuelle toujours affirmée.
L’articulation bien connue entre le projet d’ampleur et la patte de l’auteur conditionne clairement son nouvel opus : la reconstitution est plantureuse, les paysages d’Islande grandioses, le cast solide, mais Eggers affirme d’emblée son refus de sacrifier au lissage qu’une telle machine pourrait exiger. La musique dissonante et les cérémonies rituelles qui entament l’initiation du jeune prince placent ainsi le récit sous le patronage d’un certain Midsommar, dans cette veine du folk horror qui fera la part belle aux sorciers, danses tribales et prophéties sur le destin du protagoniste, à la faveur d’une voix off sépulcrale d’ouverture qui rappelle avec un certain frisson celle de Conan le Barbare. Il en ira de même pour la violence extrême, censée refléter la brute réalité d’une époque lointaine, loin des aseptisation hollywoodiennes.
Eggers ne ménage donc pas ses efforts pour proposer une expérience physique et l’immersion dans une culture suffisamment éloignée de la nôtre pour interpeller, choquer et fasciner. Le cinéaste sait y faire lorsqu’il s’agit de manier une caméra, comme en témoigne cette très belle attaque d’un village fortifié par une meute de guerriers-loups, plan séquence dynamique et physique mêlant le sang et la boue et rappelant la virtuosité de certaines séquences du Revenant d’Iñárritu. La photographie, qui travaille les contrastes entre flammes et nuit, ciels chargés et herbe grasse parvient elle aussi à restituer la densité d’une île aussi splendide qu’inhospitalière, et le casting ne démérite pas lorsqu’il s’agit de s’identifier aux animaux totems et hurler à l’adversaire toutes les ressources de sa virilité intérieure.
Il est difficile de se débrasser de tous les renvois que génère cet écheveau d’intentions et d’influences : on pense à Valhalla Rising pour cette violence frontale, ou encore à The Green Knight dans ce travail de la légende qui confère à l’enluminure, voire au Seigneur des anneaux dans cette volonté de forger au sein de la montagne une mythologie qui accouchera d’une souris. Car le constat sans appel : l’écheveau en question n’entoure que du vide. La quête on ne peut plus linéaire du protagoniste (qui nous rappelle que VENGEANCE à chaque regard), ponctuée de cérémonies redondantes empèse un déroulé trop long et boursouflé de déclarations d’intention presque embarrassantes. La surenchère permanente, loin d’impressionner, lasse et prouve la naïveté poseuse qui minait déjà les délires assez vains de The Lighthouse. Le catalogue exhaustif de toutes les exactions possibles, entre égorgements, décapitations, démembrements et vidage d’entrailles vire au grotesque, et le spectateur attend sagement que se déroule un programme annoncé dès le premier quart d’heure, et qui ne s’enrichira même pas d’une réflexion sur le tragique, pour la simple et bonne raison qu’on n’aura pas eu l’opportunité de s’attacher aux personnages, rivés à une caractérisation grossière et des intentions dénuées de toute ambivalence.
Le sommet est atteint dans le recours aux visions et à la dimension surnaturelle, que le cinéaste dit avoir, à grand renfort d’experts historiens et linguiste, voulu intégrer de la façon la plus réaliste possible au monde des vikings pour expliciter la place qu’elle occupe dans leur culture. Les séquences en CGI ignoble donnant à voir des cœurs battant au sein d’un arbre généalogique, et le galop final vers la porte des cieux parvient à outrepasser le kitsch new age de The Fountain de Darren Aronofsky, ce qui, reconnaissons-le, relève d’une performance propre à graver la (honteuse) légende. Le très ambitieux, voire prétentieux Eggers souhaitait filmer la force primale tout en convoquant les sources légendaires folkloriques de Shakespeare pour Hamlet : pour le moment, on doit s’en tenir à un cinéma primaire.
Créée
le 12 mai 2022
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