La maladie mentale, thématique régulièrement employée dans le cinéma d'horreur et les thrillers psychologiques, est aussi l'une des plus dures à représenter efficacement. Si des films comme Vol au-dessus d'un nid de coucou ou Skhizein (court-métrage) ont réussi à se faire une réputation par leur proximité avec le sujet, ce dernier reste généralement superficiel, ou utilisé en tant que justification scénaristique. Et pourtant, avant ces deux exemples probants et toutes ces autres occurrences qui le sont moins, il y a eu un film, l'un des seuls de sa réalisatrice, qui a réussi son coup.
The Other Side of the Underneath, à la base sorti en 1972, mais perdu par la suite jusqu'à une restauration en 2009, est un film dramatique/expérimental britannique réalisé par Jane Arden. Entourée de 12 psychiatres, tous avec des manières différentes de travailler avec leurs patients, la réalisatrice dresse le portrait de plusieurs filles atteintes de démence et de schizophrénie, retenues dans un centre de thérapie.
Si l'on fait quelques recherches, on peut remarquer que la plupart des sites classent ce film dans la catégorie "horreur". Cette définition n'est pas entièrement juste, tant le film ne s'ancre pas dans les codes de ce genre, mais il est difficile, en le regardant, de ne pas penser au mot "horrifique".
Horrifique d'une part par le parti pris narratif, pour le coup davantage ancré dans l'expérimental, qui nous met dans la peau desdites filles, avec leurs ressentiments, les manifestations de leurs maladies, leurs relations avec leur environnement... le tout avec certes une pointe non négligeable de surréalisme (notamment dans les visions des protagonistes), mais avec avant tout un réalisme prenant et fascinant, à la limite du documentaire. Cette narration divisée en plein de segments présente une poignée de scènes davantage gênantes qu'angoissantes, mais elles sont finalement très minoritaires par rapport au reste du film.
D'autre part, son côté horrifique lui vient de son ambiance, qui pourrait faire penser entre autres à Eraserhead. La compositrice, qui apparaît aussi pour jouer sa musique dans la diégèse du film, signe une bande-son angoissante et souvent calibrée avec les images dures montrées par le film. Utilisant beaucoup de gimmicks tels que des échos ou des saturations de son (pour renforcer le côté "documentaire"), le film en devient monumental dans la justesse de sa représentation, cherchant à délivrer le maximum d'aspects de la folie de ses protagonistes tout en l'accompagnant d'images, de scènes et d'une bande-son parfaitement appropriées. Je reprocherai en revanche l'utilisation trop régulière de certains artifices, qui ont parfois fini par m'ennuyer.
Le film s'impose aussi comme un cri engagé et féministe (la réalisatrice étant très impliquée dans ces causes, faisant partie d'un collectif avec certaines de ses actrices), et présente beaucoup de symboles de libération, autant moraux que sexuels, de façon plus ou moins subtile. Lorsqu'on se rapproche de la fin du film, les scènes s'éloignent de la thématique principale -la maladie mentale- pour se rapprocher de cette libération et de ce cri du coeur.
Rempli de scènes fortes, d'une ambiance dérangeante et d'un propos exceptionnel peu importe l'époque, Jane Arden signe ici un chef-d'oeuvre qui ravira les amateurs de cinéma expérimental (bien que cet aspect soit essentiellement là pour servir le propos), ou ceux qui apprécient les thématiques psychologiques traitées de façon réaliste.
Version vue : Theatrical cut, 1h50, mais je compte voir la "Workprint version" de 2h20.