Derek Cianfrance confirme son entrée dans la cour des grands.
S'il est un grand metteur en scène, il n'en oublie pas pour autant d'être profondément humain, ça se voit autant que ça se ressent dans ses deux premiers longs-métrages.
Après "Blue Valentine", petit chef-d'oeuvre de mélo dépressif hyper réaliste et au combien douloureux (non mesdames, la vie ne ressemble pas toujours à "Quand Harry rencontre Sally"), le p'tit gars persiste et signe avec son deuxième essai, sorte d'immense fresque - le film est en trois parties et s'étends sur 2 générations - sur l'héritage paternel (pour le meilleur et surtout pour le pire), quelque part entre cinéma vérité brut de décoffrage et souffle du clacissisme hollywoodien.
Combien de réalisateurs peuvent se targuer d'avoir deux coups de maitres à leur actif en seulement deux films ?? Il faut dire aussi qu'en plus d'un scénario en béton, Cianfrance s'est une fois de plus entouré d'un casting au niveau, de son pote Ryan "le plus beau gosse mutique de la planète" Gosling, à une Eva Mendes toute en sensibilité et en fragilité, en passant par un étonnant Bradley Cooper, dans un rôle à contre-emploi qui confirme tout le potentiel dramatique du playboy préféré de ces dames, plus quelques second coûteaux très convainquants, dont le toujours excellent Ray Liotta dans son registre favori - pourri et vicieux donc - l'australien Ben Mendelshon (révelé par "Animal Kingdom"), la toujours parfaite Rose Byrne...Le plus étonnant de ce casting restant peut-être le jeune Dane DeHaan, la révélation de "Chronicles", troublant de ressemblance(s) dans le rôle du fils de Gosling, et qui confirme ici son potentiel statut de nouveau Léo DiCaprio - c'est en tout cas tout le mal qu'on lui souhaite.
Sans dévoiler les fameux twists de l'histoire, on retiendra qu'en entremêlant romance, fresque criminelle, tragédie grecque ou saga familiale, le risque de se perdre était bien réel pour Cianfrance.
Mais en respectant au plus près les nombreux codes de ces différents genres cinématographiques, si chers au grand cinéma classique américain, et en s'appuyant sur son casting impec, le réalisateur gagne son pari haut la main, même si la claque engendrée à l'époque par "Blue Valentine" est ici de moindre intensité, je vous l'accorde.
Et si les nombreux thèmes abordés aurait pu transformer son film en catalogue de clichés - l'American Way of Life version trash, la chronique de l'Amérique profonde, l'héritage paternel, l'obsession pour la vengeance, la violence au sein de la famille...tout ou presque y passe), c'est par sa foi en son histoire (et par là-même en ses acteurs) et surtout dans son respect pour ses nombreuses références que Cianfrance s'en sort si honorablement.
Cianfrance confirme ici qu'en plus d'être un auteur talentueux, il possède en plus le don de toucher le plus large public possible.Et qu'il sait donc faire rimer cinéma d'auteur avec cinéma "humain", et ils ne sont pas si nombreux que ça de nos jours, nos amis réalisateurs, à pouvoir en faire autant.
Certaines critiques se sont bien entendu empressées de lui mettre l'étiquette de "James Gray du pauvre" sur le dos, la bonne blague...
Gray se contente de réciter ses petits classiques empruntés à Scorsese et cie, mais sans qu'on parvienne jamais vraiment à s'identifier à ses personnages.
Tout le contraire de Cianfrance donc, pour qui la forme et les "hommages" empruntés font plus que jamais office de magnifiques écrins dédiés à ses acteurs.
"The place beyond the pines" est donc bien une grande fresque américaine "classique", mais qui touche juste en mettant plus que jamais les aspects humains de l'histoire en avant, en prenant bien soin de rappeller que la forme - aussi classieuse soit-elle, et ici c'est le cas - ne dois jamais prendre l'ascendant sur le fonds.