Voilà un cousin inattendu du film réalisé par le Néo-Zélandais Andrew Dominik en 2007, L’Assassinat De Jesse James Par Le Lâche Robert Ford : un autre « néo-western » réalisé pas si loin de chez lui, en Australie. Sorti en 2005, mais n’arrivant en France que quatre ans plus tard précédé d’une réputation anglo-saxonne flatteuse, il se veut moins contemplatif et plus « blood’n’guts » que le film produit par Ridley Scott, mais n’en partage pas moins avec lui quelques marques de fabrique. Il y a une ambiance musicale commune et singulière, avec les signatures de Nick Cave et de son comparse Warren Ellis. Mais surtout, les deux films se retrouvent dans le penchant pour la posture et la prétention, tout occupés à se fondre académiquement dans ce sous-genre un peu institutionnalisé par son succès critique – depuis le passage de Ford, Leone et Peckinpah – alors qu’il n’accepte rien moins que le conformisme et l’institution : le « western crépusculaire ».


On connaît Nick Cave le chanteur, musicien et songwriter, silhouette d’épouvantail venue d’Australie et hantant le paysage musical depuis les années 1970, à travers divers groupes, par son style à plusieurs genres et ses textes à la fois funèbres et lyriques, entre solennité biblique et énergie païenne. On connaît un peu moins Nick Cave l’homme de cinéma. Il a fait ses débuts d’acteur en 1988 dans le drame carcéral Ghosts… of the Civil Dead réalisé par un certain John Hillcoat, où il campait un détenu particulièrement allumé. Tant qu’il y était, il a aussi participé à la musique du film, comme il le ferait pour tous les films suivants du même réalisateur. C’est ce dernier qui, une quinzaine d’années après, lui a proposé d’écrire un scénario de western où le bush remplacerait les grandes plaines et les Aborigènes les Indiens. Avec sa sensibilité artistique, Cave n’a eu aucun mal à tirer profit d’une matière plutôt riche sur le plan historique et mythologique. L’Australie de la fin du dix-neuvième siècle où prend place The Proposition vit les dernières années de son processus de colonisation par les Britanniques – amorcée plusieurs décennies auparavant par l’envoi de forçats – et la difficile imposition de la loi dans ses régions les plus reculées ; c’est aussi l’époque du fameux hors-la-loi local Ned Kelly, qui devait inspirer plusieurs longs métrages. Sur cet arrière-plan, l’intrigue noue un pacte contre-nature entre ordre et chaos qui n’est pas sans rappeler Apocalypse Now, déchaîne sur les terres désolées ultra-violence, immoralité et corruption des nantis, arbitre une fracture quasi biblique entre frères hors-la-loi, invoque le mysticisme des peuples primitifs. Sur le papier, un tel traitement fascine et promet. À l’image, c’est une autre paire de manches.


Rapidement se dessine le bénéfice que Hillcoat tire d’un scénario aussi singulier, noir et désespéré : un cache-misère. L’Australie de cauchemar narrée et chantée par Cave a beau aligner les squelettes, les chairs meurtries, la sueur et la démence, elle est empreinte d’une sécheresse qui n’est pas seulement celle du bush, mais aussi celle de l’adaptation littérale et désincarnée d’un texte qu’on devine très travaillé et d’une redoutable puissance d’évocation dans son medium d’origine, mais auquel ne fait écho à l’écran que la servile illustration d’une mise en scène plus opportuniste qu’inspirée. La filmographie de Hillcoat est réduite et éparse – Ghosts… of the Civil Dead (1988), To Have and to Hold (1996), The Proposition (2005) et enfin son académique adaptation de La Route de Cormac McCarthy – mais éloquente sur cette coquille vide qu’est son cinéma et qu’il constitue de l’intimidation pré-écrite. Le réalisateur se plaît à prendre des scénarios traitant de violence, de perversité, de folie et de fin de la société, mais c’est un plaisir bien solitaire et stérile, tant le cinéma qui en résulte tourne à vide et passe complètement à côté de son matériau. Pas assez d’emprise et de prise de risque, trop de distance et de détachement, trop, aussi, de tentation de briller à peu de frais sur le compte de sa note d’intention : la noirceur avec laquelle il flirte avec insistance demeure au mieux une toile de fond qui ne prend chair de cinéma que par accident, au pire une source d’occasions d’impressionner par de petits effets chic et choc. Ce qui ressort du cinéma de Hillcoat, et qui est moralement problématique, est qu’au fond il étale des sommets de brutalité et de désespoir du monde par lesquels il ne fait lui-même jamais mine d’être concerné, ne s’en servant que pour muscler ses illustrations de lieux communs – l’homme est un loup pour l’homme, la civilisation court à sa perte en ne pouvant plus cacher l’horreur humaine, etc. Il se donne l’impression d’avoir quelque chose à filmer, mais encore faudrait-il qu’il ait seulement une envie de le faire – au lieu que quoi il ne manipule que la surface de son sulfureux matériau en espérant que cela suffise à convaincre les jurys de la critique et du public.


Ici vautrée sur le travail littéraire de Nick Cave, cette consistance de baudruche de la mise en scène prend des proportions alarmantes. Tandis que le texte explore un bush australien revisité en désolation poussiéreuse abandonnée de Dieu, jusqu’à atteindre une poésie glauque et ténébreuse de fin du monde, l’image se borne à en aligner consciencieusement les vignettes adéquates, jusqu’à la caricature. Une idée de la vanité de l’entreprise, ce serait un recueil de poèmes illustré où les dessins soignés compteraient plus que les vers eux-mêmes. On braque la pleine lune au revolver par défi aux cieux, on médite sur la fraternité trahie sous le soleil couchant, les ivrognes éructent sur la chute des croyances. Tout dans The Proposition hurle à l’apocalypse et à la putréfaction de l’humanité, mais au fond, personne n’y croit vraiment, tant tout le monde affecte le détachement et se réfugie derrière l’imagerie et les postures en vigueur, posant revolver au poing face caméra comme pour déjà préparer l’affiche. Jamais Hillcoat ne s’empare sincèrement de la matière qui lui est fournie : il ne fait que profiter de sa singularité de ton pour faire mine de se l’approprier par son illustration auto-satisfaite. La violence elle-même n’est pour lui, au maximum, que source d’images chocs plus grandiloquentes qu’évocatrices, comme cette tête touchée de loin par une balle et qui explose comme une citrouille, évoquant plus un gag de cartoon que l’horreur qu’elle prétend susciter. Le moindre souvenir de la prise à bras le corps de sujets et de contextes semblables par les cinéastes qui lui ont ouvert la voie pour frimer ainsi – pas seulement des réalisateurs plus doués, mais des artistes vraiment concernés et touchés, eux, par ce qu’ils filmaient : la violence, la perte des valeurs, le désossement des mythes sur la conquête des territoires – suffit à rendre à sa médiocrité cette pantomime d’un petit joueur assez roublard, malheureusement, pour avoir la cote ces jours-ci.

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Auteur : Wesley
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le 7 sept. 2012

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