L’art de l’épure est une subtilité difficile à mettre en œuvre. En situant son film à la frontière de la tranche de vie dépouillée à l’extrême de tout contexte et le road movie rédempteur laissant les âmes qui l’entreprennent se construire par leurs actions, David Michôd se frotte à l’exercice, non sans panache, mais avec une telle crainte de relever le challenge qu’il se prend les pieds dans le tapis. L’auteur exagère à tel point son envie de déconstruire ce que l’on pouvait attendre de son film, à l’image de cette bande son chaotique qui épouse longuement des séquences qui s’étirent inutilement jusqu’à ne plus rien avoir à dire, qu'il finit par anesthésier, et son spectateur, et les thématiques qu’il tente d’énoncer lorsqu’il fait enfin parler ses personnages.
Et pourtant il y a de belles qualités en action dans son dernier film, à commencer par un boulot d’ambiance assez monstrueux. La crasse ambiante investit chaque parcelle de l’image pour se déposer irrémédiablement sur la peau d'acteurs qui se départissent, petit à petit, de toutes facultés expressives, jusqu'à devenir des fantômes qui rodent dans un monde qui les a oubliés et les laisse se détruire sans prendre la peine de leur rappeler leur existence. Les actes sont pourtant immanquables, chaque balle tirée ôte la vie en même temps qu’elle brise un silence assourdissant, extirpant les tympans des survivants d’une demi-vie critique pour les rendre témoins d’une fin du monde inéluctable. Niveau mise en scène, rien à redire, David Michôd mène sa barque avec une rigueur qui force le respect.
De même qu’il parvient à tirer belle partition d’un Guy Pearce énigmatique en diable. The Rover n’est d’ailleurs jamais aussi intéressant que lorsqu’il laisse le personnage se développer, à travers quelques dialogues savoureux même si un peu trop mécaniques (le discours entre Pearce et le « policier » est à mon sens le meilleur passage du film. Quand on voit comme David Michôd parvient, en 5 minutes, à poser les premières pierres d’une mythologie si prometteuse, on attend qu’il poursuive, la bave aux lèvres).
Mais alors, pourquoi ? Pourquoi, lorsque l’on a matériau si fertile, maîtrise formelle si habile, se tirer un coup de chevrotine dans l’orteil gauche en ancrant son film dans une démarche de marginalisation si poussée. Pourquoi, à cette envie de simplifier son road movie en le caractérisant uniquement par la violence, David Michôd répond par un maniérisme de chaque instant ? On sent en effet beaucoup trop dans The Rover cette intention de se démarquer de la masse, de prendre les spectateurs au dépourvu, de trouver des solutions au handicap que s’inflige lui-même David Michôd en choisissant de jouer la carte du script réduit à l’extrême. La fougue qui habitait les premières minutes s'évaporent alors définitivement, tellement, qu’on finit par décrocher.
C’est éteint pour ma part que j’ai assisté au dernier tour de piste de nos deux compères en quête de vengeance. Content de me faire délivrer de la prestation Benny Hill de Pattinson (que je trouve bon pourtant habituellement) mais attristé par la confirmation d'avoir assisté à un essai prometteur manqué.
Stimulé d'un côté, par le boulot magistral qu’y a abattu David Michôd, caméra au poing, mais anesthésié par ce qu’il en fait dans le même temps : je ne retiendrai rien d’autre, sinon une ballade au pays du sommeil levant bien trop longue et forcée; tout cela manque furieusement de spontanéité. The Rover est un film trop réfléchi, qui se perd dans les méandres d’une démonstration par l’image du film à concept qui ne veut pas faire comme le voisin. L’intention est louable, mais le résultat manque de réalisme. Arf !