La génération du baby boom et ses enfants a plus ou moins porté attention à la fameuse guerre froide tant rabâchée à la TV à coup de celui qui aurait le plus de missiles un jour, puis de celui que en aurait le moins le lendemain. Cette période de l'histoire entre fragile équilibre et avancée technologique rapide des supers puissances a laissé derrière elle des vestiges aussi spectaculaires qu'intrigants.

Des bunkers gigantesques à l'échelle d'une ville, des sous-marins mastodontes des mers dont le cœur radioactif raisonne avec celui des missiles intercontinentaux qu'il transporte et puis les divers dispositifs ultra secrets destinés à espionner l'ennemi... sans bouger de chez soi : c'est l'histoire passionnante du Duga.

Le projet Duga est un dispositif secret mis en place dès 1964 par l'URSS pour détecter le lancement de missiles intercontinentaux à l'autre bout de la Terre (officiellement). C'est ce que l'on appelle un radar transhorizon (ou « OTH » pour Over The Horizon) qui permet d'émettre tout autour de la planète en faisant rebondir son signal sur l'ionosphère et en le récupérant sur une station réceptrice munie d'une antenne d'une taille conséquente.

Le projet Duga a connu 3 itérations totalement gigantesques. Le Duga originel construit dès 1964 et situé près de Mykolaïv en Ukraine. Il est capable de détecter le lancement d'un missile à 2500 Km, test des soviétiques à l’appuie effectué depuis le cosmodrome de Baïkonour situé au Kazakhstan. Son antenne émettrice fait 210m de long pour 80m de hauteur tandis que celle du récepteur était de 300m de long pour 135m de hauteur ! Je vous laisse imaginer la taille de l'ouvrage. L'installation a été dynamité en 2000 mais il reste quelques vestiges bien visibles sur Goole Map.

Puis, en 1982, est construit le Duga-2 à Komsomolsk-sur-Amour qui a été démantelé dans les années 1990 après un incendie. Enfin, celui qui nous intéresse et qui est traité dans ce documentaire est le Duga-1, un ouvrage pharaonique et totalement surréaliste !

La construction du Duga-1 commence en 1971 et les superlatifs manquent pour décrire cette étrangeté à la fois terrifiante et fascinante... La base "secrète" située dans les bois de Polissia à 10 km de la tristement célèbre centrale Lenine située à... Tchernobyl, emplois pour ce radar pas moins de 74 939 personnes ! La ville de Pripiat ayant "poppée" d'un seul coup en 1970, on imagine bien qu'il fallait loger tout ce petit monde ! L'antenne fait 500m de long pour 150m de haut pour la plus grande (90m pour la petite) et sa puissance d'émission était de 30 mégawatts. Il fallait bien une centrale nucléaire comme celle de Tchernobyl pour alimenter ce gros joujou !

Ce radar a causé littéralement des mots de tête a travers toute la planète perturbant les émissions radio (TV, radio et radars) de tous les pays qui étaient sur sa trajectoire. Ce son particulier venant de « nulle part » venait brouiller toute diffusion par un bruit sec et répété similaire à un pivert d'où son surnom de pivert russe. La structure est visible de l'espace et est totalement surréaliste (je le sais je l'ai déjà dit).

Le documentaire retrace l’histoire de ce radar en montrant divers lieux dans la zone d’exclusion de Tchernobyl dont le fameux Duga-1 qui se trouve à 10km de la centrale. Le radar qui cassait les oreilles du monde entier s’est tue définitivement le 26 avril 1986 juste après l’explosion du réacteur n°4. C’est la seule structure Duga encore debout aujourd’hui et elle est restée plus ou moins inconnue jusqu’à l’avènement des plateformes de vidéo qui ont commencé à la faire connaître. Auparavant seul les radioamateurs étaient au fait de cette monstruosité de métal et peu ont réellement vu cette structure du temps où elle était encore en service.

Le documentaire est « animé » par un artiste (tout du moins c’est lui qui se définit comme cela) ukrainien nommé Fedor Alexandrovitch. Il se demande s’il n’y aurait pas une relation entre l’explosion du réacteur de la centrale et ce gigantesque radar qui n’a jamais vraiment fonctionné. Ayant moi-même découvert l’existence de cette chose il y a une 15ène d’années et étant « passionné » par l’histoire de Thernobyl (pour l’avoir vécu « en direct » à la TV), je scrutais naturellement la moindre vidéo ou information à ce sujet. Quand on découvre Duga-1 on se pose forcément la question de la relation entre la centrale et cette structure « extraterrestre » (il y a décidément des choses qui vous taraudent dans la vie…).

Elle n’a certainement pas été construite ici par hasard et la ville de Prypiat qui a poussée comme un champignon à la même période non plus. Toutes ces corrélations autour du projet Duga, dont les tenants et aboutissants restent encore relativement obscures aujourd’hui, sont quand même assez surprenantes. D’autant que les soviétiques étaient plutôt fermés et très discrets quant à leurs grands projets, d’où le voile de mystère qui plane sur cette construction et plus globalement sur la zone de Tchernobyl.

Notre artiste autoproclamé va d’abord nous expliquer sa thèse, mais crescendo, en gardant une part de suspens, histoire que l’on ne se tire pas avant la fin en voyant ses frasques artistiques. Celles-ci n’ont pas vraiment de rapport avec la choucroute et arrivent comme un cheveu sur la soupe. Le jeune homme plein de fouge s’amuse à se balader dans de Prypiat au Duga à moitié à poil revêtu d’un plastique transparent et tenant une torche, ça c’est quand il n’est pas train de prendre des allures fantomatiques en faisait attention de ne pas piétiner un parterre jonché de masque à gaz comme s’il marchait sur des véritables personnes ! Pourquoi pas diront certains.

Mais quand il a fini de faire le pitre, son histoire a de quoi accrocher et éveiller la curiosité. Il va d’abord taper sur la façon dont la Russie a traité et traite encore l’Ukraine. On se croirait dans une histoire dystopique. En effet depuis la chute du bloc soviétique, la plupart de ses pays satellites sont devenus indépendants. L'Ukraine était l'un des territoires stratégiques les plus important de l'URSS et les nombreuses installations militaires construites sur ce territoire démontrent cela. Le Duga est la plus importante d'entre elle avec sa ville attenante dédiée à ce projet et à la centrale. Depuis que l'Ukraine est devenue indépendant la Russie n'a cessée d'harceler ce pays pour le remettre dans son giron par des méthodes assez sales comme l’empoisonnement du président Viktor Louchtchenko ou placer mine de rien des russes en tant que candidat à la présidentielle (Viktor Lanoukovytch) et bien sur la forte pression militaire constante près des frontières. C'est ce que dénonce le réalisateur, bien que ce soit pertinent c'est malheureusement mal imbriqué avec l'histoire du Duga et cela donne l'impression de deux documentaire en un seul mais qui n'ont pas de rapport directe l'un avec l'autre.

En revanche là où il fait mouche c’est quand il a l’idée d’aller chercher ceux qui ont été les architectes du projet Duga. Ceux qui ont fait tourné cette chose étrange. En effet, quand on regarde les nombreuses vidéos Youtube à ce sujet on se demande qui pouvait bien travailler dans cet environnement blindé d’ordinausaures russes ou les couloirs et les salles sont pavées de pancartes « top secret ». Avec la technique de la séparation des taches, peu des protagonistes de l’époque ont eu une vision globale du projet. Mais il en trouve et ses interviews sont plutôt… intéressantes dans un sens. Je vous laisse le découvrir.

Vers la moitié du documentaire on commence à comprendre les implications du Duga par rapport à la catastrophe de Tchernoby, même si cela peut paraître complotiste et surtout abracadabrant, la façon dont il construit logiquement son enquête semble tenir debout. D’autant que les diverses personnes qu’il va rencontrer (parfois en caméra cachée) ne sont pas en mesure d’infirmer ce qu’il avance.

Les images filmées sont intéressantes et montrent des documents d’époque provenant du coté russe autant que du côté occidental. De nombreuses interviews viennent étayer le propos et l’on a même le droit à un dessin avec les explications qui vont avec. Le radar Duga-1 est évidement la star de ce documentaire et il est plutôt bien filmé. Malheureusement il ne va pas assez loin dans ce gigantesque complexe ou il y a tant à voir autant pour la technologie utilisée que pour la façon dont les russes ont pensé celle-ci. Le documentaire est à deux face, l’une tournée sur l’enquête concernant le rapport entre le Duga-1 et l’explosion de la centrale et l’autre sur l’oppression que les russes font peser sur l’Ukraine qui aimerait bien une fois pour toute prendre son indépendance.

Encore aujourd’hui les Russes n’ont pas déclassifié leur archives. Les arcanes du pouvoir de l’époque, qui ont validé ce projet colossal de plusieurs milliards de roubles, restent encore inconnues. La théorie avancée dans ce documentaire est intéressante mais parfois difficile à croire au vu des enjeux. Il faudrait être un super mégalomane à la James Bond pour faire ce qu’a théoriquement ordonné Vassily Chamchine. Vous le constaterez dans certaines interviews, plus de 30 ans après sa chute, certains sont encore effrayés par le spectre du régime soviétique. Un documentaire certes un peu fantasque, mais qui a le mérite de poser une hypothèse sur ce qui est encore la plus grande catastrophe de l’Histoire humaine moderne.

Pour ceux qui voudraient creuser le sujet voici un site (en russe) blindé de visuels et qui retrace l'histoire de ces radars.

Dr_Wily
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le 4 juin 2022

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