A qui sont ces tristes glands qui frappent notre tête ?
La gorge se serre et le regard se détourne de l’écran pour quelques secondes, à plusieurs reprises, infligeant aux sens un hors-champ supplémentaire alors qu’un garçon, dépossédé de son corps, rit malgré-lui des facéties perverses d’un adulte. Larry Clark se fait révélateur, dérangé peut-être, halluciné sûrement, d’un fatalisme intrinsèque à la jeunesse, ou tout du moins à une idée de la jeunesse. Cette fois au sein d’un groupe de skateurs parisiens dont certains membres s’adonnent à la prostitution.
Le réalisateur apporte à son idée fixe « la sexualité chez les jeunes » plusieurs choses, et d’abord le rapport de l’adolescence à la vieillesse, non pas comme opposé mais comme futur. Un vieil homme chante du blues, un garçon, casquette sur la tête, assis à ses côtés, tous les deux avachis dans le même élan statique, geste politique contre l’autodestruction forcée. Et les parents de n’incarner que les instigateurs, par leurs décisions et leurs mots, de ce mal-être qui guide l’adolescence. Impossible de reprocher au réalisateur de ne pas insérer des éléments sociaux, qui contextualiseraient les problématiques à un lieu, à une génération. Non, les jeunes de The Smell of Us sont les mêmes que ceux de Ken Park. Et ce choix fait apparaître les émotions sans recul .
Presque éloigné de tout arc narratif, le récit se démultiplie en différentes scénettes, découpage expérimental. Les jeunes, catégorie sociale non-professionnelle, sont réduits à une pureté, trouble, en autarcie, loin de la société qui leur a donné vie. Leurs lieux de rassemblement sont fantastiques, tirés hors du réel, et fonctionnant selon leurs propres règles : organiques, charnelles, olfactives, sensuelles. Et désormais virtuelles. Comme s’il y avait un besoin inconscient d’enregistrer l’instant présent, le mal, le bien qui est fait, et ce qui se trouve entre. Le procédé vidéo sert un point de vue trouble : est-ce un regard extérieur et critique ? une autre manière d’apprécier les protagonistes ? L’image se fige et se déconstruit d’elle-même, apportant une possible extériorisation des sentiments vécus sur le moment par ceux dont l’image est captée, l’âme volée. En ressort une terreur absolue de cette enfance présente et passée. Si les parents tenaient la caméra pour filmer les premiers pas de leur enfant, c’est maintenant les enfants qui se filment eux-mêmes, menés par un besoin de construire leur image propre – sale, dans ce cas.
Etonnamment, les filles et les femmes sont mises à distance sans que leur rôle soit pour autant amoindri : la copine est le révélateur fade des secrets, la cliente une voie possible de compréhension, la belle-mère réceptacle de la fureur et de la douleur, la mère une succube perdue. Le visage symbole est celui d’un garçon, Math, l’acteur Lukas Ionesco. Sa figure de marbre, semblable à celle des éphèbes siciliens photographiés par Wilhelm von Gloeden, exprime douceur et violence conjuguées en une impassibilité dérangeante. La séquence du podophile est d’une telle force qu’elle rend les suivantes, apportées par une construction répétitive, plus ternes. Par ces longs plans où la caméra tressaille, Math est fait héraut sans parole d’une génération sacrifiée par ses aînés.
La question n’est pas de savoir si ce que Larry Clark filme est moral ou non. Il suffit de ressentir la violence onirique et émotionnelle avec laquelle il dévoile la fin programmée de la jeunesse vers le pathétique âge adulte.