Bien que les deux parties de l'opus soient proposées comme deux films distincts (nécessitant deux séances, donc la prise de deux billets) et que chacun puisse se voir à la rigueur indépendamment de l'autre, The Souvenir de Joanna Hogg offre une unité, une complémentarité, une progression dramatique et intellectuelle si évidentes qu'il serait dommage de n'en voir qu'une moitié. Les deux mises bout à bout représentent 3 heures 45 ; avec un break de 15 à 30 minutes entre les deux séances, ça demande l'après-midi ou la soirée. On peut très bien aussi ne pas voir l'ensemble du métrage le même jour. C'est un choix personnel. Pour ma part, j'ai préféré tout voir à la suite.


La première partie est consacrée à la relation filmée d'un amour toxique. Il nous est conté depuis sa naissance, au fil de son développement et de ses hauts et bas, jusqu'à sa conclusion. Ce Souvenir nous est raconté au présent et tel que les choses se sont passées selon le point de vue d'une étudiante en dernière année d'une école de cinéma : Julie Harte - mêmes initiales que Joanna Hogg, et noms propres en une seule syllabe : Hart (le "e" est muet) et Hogg. Mais évidemment ce Souvenir appartient au passé de Julie Harte, la représentation cinématographique de la réalisatrice Johanna Hogg qui, clairement, s'est inspirée de sa propre expérience d'étudiante en cinéma. Donc, situé dans les années 80, ce passé est raconté au présent, comme la réalité de ce que Julie (qui, idéalement, ne devrait être préoccupée que par la conception et réalisation de son film de fin d'études) vit au jour le jour et de ce que lui fait vivre l'homme dont elle est en train de tomber amoureuse : Anthony. Lui est une sorte de dandy bien sous tous les rapports au jugé de son apparence vestimentaire, mais dont on se demande assez vite s'il travaille vraiment au Foreign Office comme il le prétend et sinon, quels sont ses moyens de subsistance. Julie, elle, est une naïve fille à papa, sans expérience de la vie mais qui veut s'émanciper (déclare-t-elle à ses professeurs) du milieu hyper privilégié dont elle vient. Elle est propriétaire d'un charmant duplex à Knightsbridge, quartier central et huppé de Londres (on suppose que ce sont ses parents qui le lui ont acheté, puisqu'elle ne gagne pas encore sa vie). Où rencontre-t-elle Anthony ? À une soirée entre étudiants de cinéma qu'elle donne, au tout début du film, dans son appartement design. Qu'est-ce qu'il fait là ? Qui l'a invité ? Flou artistique. Ils se revoient (il est plus âgé qu'elle, mais pas tant que ça, genre elle 24 ans et lui juste la trentaine) ; il l'emmène dans des restaurants chics old England, bientôt s'installe chez elle en remplacement du locataire avec qui elle partageait l'appartement, mais lui naturellement n'acquitte aucun loyer. Ils finissent par coucher ensemble. Et la toxicité de la relation se révèle, s'installe et s'approfondit. Il passe presque tout son temps chez elle, lui demande de façon très désinvolte et naturelle, mais de plus en plus fréquemment, des petites sommes d'argent ("Can you lend me a tenner ?" Dix livres, soit 12 euros). Au retour d'un séjour qu'il fait (supposément pour son travail) à Paris, elle découvre qu'il a deux rougeurs, comme des piqures d'insecte, à la saignée du bras. Et bientôt, elle apprend lors d'un dîner avec un jeune cinéaste (vague relation d'Anthony) que celui-ci est héroïnomane. Stupeur de Julie qui, par ailleurs, demande de plus en plus souvent des sommes d'argent à sa mère (Tilda Swinton, sa mère à l'écran comme dans la vraie vie), puisqu'elle assume seule, sans jamais récriminer, les dépenses du couple. S'enchaîne toute une série de catastrophes... et comme l'héroïne est une drogue dure, dont il est presque impossible de réchapper (en tout cas, c'est ce que j'ai toujours entendu dire), arrive ce qui était prévisible : le pire.


Ce qui est intéressant dans cette histoire, assez traumatisante dans certaines de ses péripéties, c'est moins son contenu, au fond assez vite prévisible, que la manière dont elle est racontée. Ses ellipses, ses invraisemblances (comment Julie ne comprend-t-elle pas très vite de quoi il retourne et comment peut-elle accepter tout ça si longtemps, notamment un cambriolage considérable de ses biens et bijoux, auquel elle ne mêle même pas la police), tout ça c'est du cinéma, mais je ne vous apprend rien. Cette partie I de The Souvenir, ça n'est pas de la réalité vraie, c'est une réalité de cinéma (dirait JLG). C'est du cinéma , de l'art, "une parenthèse magique" selon une formule que je déteste. Et néanmoins un film sous le charme duquel on tombe immédiatement, du fait principalement de la beauté de l'image et de la pertinence du casting, Julie étant personnifiée par Honor Swinton Byrne (la fille de Tilda Swinton, dans la vraie vie comme dans le film), une jeune actrice qui d'emblée nous ravit par sa beauté particulière et changeante, par son charme, sa sensibilité et l'intelligence de son jeu.
Au fil des minutes de cette première partie, on prend conscience de regarder une oeuvre à l'esthétisme très étudié (photographie, décors, costumes, musique), un film pour happy few. Ce qu'on remarque moins ou qui peut passer inaperçu, c'est l'habileté consommée avec laquelle la réalisatrice déroule son histoire de scène en scène sans s'appesantir le moins du monde sur chacune d'elles, sans nous laisser le temps de réaliser que chacune est là pour faire progresser le déroulement dramatique de l'histoire. Ce qui ne se remarque pas (et qui est pourtant remarquable), c'est la subtilité avec laquelle elle introduit ses personnages, mine de rien. On remarque à peine le moment où ils s'intègrent dans l'histoire. Et pourtant ils existent, vivent, paraissent vrais (jusque dans leur outrance), alors qu'on en sait très peu sur eux, et qu'on aimerait en savoir plus. Ainsi d'Anthony qui cache son jeu, sa mystérieuse double vie. Julie, qui pourtant habite, couche et dort avec lui et qui, l'aimant, est très attentive à ce qu'il est, ne sait pratiquement rien de lui... bien qu'il l'ait introduite auprès de ses parents (qui eux non plus semblent ne rien savoir, ou si peu, de leur fils).
Ça ne tient pas debout ? Et pourtant si, dans la réalité cinématographique ; ça fait une première partie finalement passionnante, dramatique, choquante. On est dans le film, on se sent concerné, on s'indigne, on partage l'angoisse de Julie et même, finalement, la détresse sous-jacente d'Anthony. On en vient presque à le plaindre, à chercher à le comprendre. Et quand arrive l'irrémédiable et la fin de cette première partie, on se dit : vivement la seconde. Comment l'apprentie-réalisatrice va-t-elle pouvoir transcender ce premier amour malheureux, dominer son chagrin, insuffler sa douloureuse expérience dans son film de fin d'études, grâce auquel elle obtiendra ou non le diplôme qui lui ouvrira les portes de la réalisation et la possibilité de vivre de son art ? Réponse dans The Souvenir - Part II.

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le 14 févr. 2022

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Fleming

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