Déjà fortement remarqué avec Snow Therapy, son précédent film, Ruben Östlund frappe un grand coup avec The Square, une satire sociale aussi drôle que terrifiante capable de bousculer son spectateur.
Il a quarante-trois ans, est suédois et commence à bien s’habituer au Festival de Cannes. Présent dès son deuxième film, Happy Sweden (Un Certain Regard, 2008), puis avec Play (Quinzaine des Réalisateurs, 2011) et enfin Snow Therapy (Prix du Jury, Un Certain Regard, 2014). Avec ce dernier, il livrait une réflexion sur la famille et la place de l’homme (mais aussi des femmes et des enfants). Pour sa quatrième venue, c’est cette fois en compétition officielle, avec The Square, qu’il livre une satire sociale portée, à nouveau par de nombreuses réflexions humaines.
Tout part d’une jeune fille qui crie à l’aide dans la rue et va se réfugier derrière deux inconnus en leur demandant d’intervenir face à un homme qui voudrait la tuer. Parmi les deux hommes, Christian, directeur d’une galerie d’art. D’abord tétanisé par ce qu’il se passe sous ses yeux, il trouve finalement l’impulsion d’intervenir pour, au final, pas grand-chose… Pour sa petite peine, il se félicitera grandement de son acte civique. La situation est cocasse, mais révèle au fur et à mesure l’individualisme humain naturel. Ou comment le simple acte d’aide envers autrui apparaît comme une montagne à franchir. Ruben Östlund joue alors du contraste entre les idéologies de son personnage – qui correspondent globalement à l’une des futures œuvres de sa galerie, une installation sur laquelle est écrit : “Le Carré est un sanctuaire de confiance et de bienveillance. En son sein, nous avons tous les mêmes droits et les mêmes devoirs” – et ses actes au quotidien. Car comme beaucoup, Christian est d’abord préoccupé par sa petite personne et son propre confort et, lui aussi, a pour habitude de baisser la tête devant les plus démunis. The Square joue évidemment d’ironie et a ainsi l’intelligence de faire passer son message par le rire, durant un temps.
En effet, adoptant un style pouvant rappeler l’excellent Toni Erdmann (dans sa manière de jouer sur la longueur), Ruben Östlund manie avec élégance les ruptures de ton. D’abord comique et franchement hilarant, tout en laissant entrevoir une classe sociale antipathique, il parvient à basculer dans son dernier tiers dans un tragique féroce. Son but affiché étant de démembrer à petit feu la société contemporaine. En termes de mise en scène, le cinéaste se concentre sur une composition précise des plans, où le moindre détail visuel ou sonore trouve une importance au sein d’un cadre glaçant. Une véritable maîtrise de l’environnement lui permettant autant de comique de situation que de séquences accablantes. Car bien souvent, le rire accompagne le pathétique. Une scène de sexe entre deux partenaires bien mal à l’aise, ou encore cette séquence où, lors d’un dîner, un artiste réalise une “performance artistique” en agissant comme un gorille. Bousculant le monde bourgeois incapable de réagir à la violence (jusqu’à un certain point), Ruben Östlund pose ainsi également la question de l’art et de ce qui définit une œuvre comme artistique – l’exemple au début du film d’un sac posé dans une galerie, répondant à la performance artistique citée précédemment. Parfois rude et nécessitant un temps pour digérer ces 2h20 (tout de même !), The Square fascine, amuse, effraie parfois, mais surtout tend à la réflexion sur soi et le monde actuel en provoquant une forme de chaos. Une proposition qui forcément divise, mais a au moins le don de faire réagir.
Par Pierre Siclier pour Le Blog du Cinéma