En respectant l'ordre chronologique de la filmographie de Ruben Östlund, je viens de regarder The Square après ses trois précédents opus, The Guitar Mongoloid restant introuvable hors format DVD.
Il est intéressant d'avoir les trois en tête pour comprendre comment le réalisateur suédois fonctionne vis-à-vis du traitement des sujets qui l'intéresse. Palme d'Or à Cannes en 2017, l'attente envers ce film était donc plus grande que pour les autres. Peut-être est-ce ce qui a déjoué dans mon appréciation globale de cette dernière réalisation.
The Square traite de divers sujets fondamentalement très intéressants, faisant du film une plutôt belle réussite. Les inégalités sociales qui ne cessent de s'accroître, leur persistance dans nos sociétés occidentales, l'indifférence de la part des classes supérieures à l'égard de la misère qui occupe malheureusement de plus en plus d'espace.
Le monde de l'art contemporain, qui présente des œuvres souvent abstraites, qui parfois peuvent être raccommodées sans qu'on ne le remarque, posant ainsi la question de leur légitimité. De même, la fameuse scène de la performance artistique lors du dîner est très forte. Quelle est la limite entre l'œuvre d'art et la réalité ? Quand est-ce qu'elle prend fin ? Une performance dite artistique peut-elle tout se permettre, si tenté qu'on la considère comme une œuvre ? La question se pose pendant de longues minutes, jusqu'au moment où la raison reprend le dessus et fait cesser ce spectacle malsain.
Cette classe mondaine appartenant à cette branche de l'art sait festoyer dans l'abus, dans l'exubérance, piétinant les petites mains qui contribuent à ces célébrations, tout en profitant de ce qu'on a à leur offrir. La déconnexion et la négligence des plus hauts placés envers les services internes de leur entreprise peut avoir des conséquences dramatiques, l'exemple de la communication a ici été choisie. S'ensuit cette recherche souvent obligatoire du buzz pour faire parler de soi, de ses projets, quitte à choquer et offusquer, créer la polémique, tant qu'on fait parler et qu'on attire de la clientèle. La question de la liberté d'expression, de ses éventuelles limites est ainsi évoquée, tout comme la manie de la presse à vouloir s'emparer des polémiques, profitant de son pouvoir pour descendre ceux qui tentent de s'égarer du chemin de la bien-pensance.
L'attitude des hommes de pouvoir envers les femmes, usant de leur statut pour séduire et conquérir, satisfaisant ainsi leur ego mais fragilisant les malheureuses tombées dans la supercherie.
L'envers du décor des familles bourgeoises, où, si l'argent règne, le bonheur, l'amour, la tendresse sont bien souvent absents de l'équation.
La prise de conscience de Christian de son attitude minable vis-à-vis de l'enfant réclamant la justice sait nous redonner un peu d'espoir. Comme quoi, on peut finalement trouver de l'humanité dans les a priori "cœurs de pierre" de ceux qui constituent les hautes classes sociales.
Cependant, quelque chose cloche à la fin du film. Sa durée excessive y contribue sans doute, cela apporte plus de la confusion qu'autre chose et dessert le propos du film. Ensuite, pourquoi avoir choisi comme univers central le monde de l'art contemporain pour traiter de toutes ces vastes thématiques ? Par moment, on se sent perdu et on ne voit pas où Ruben veut en venir. Finalement, le générique retentit, je récapitule tous les sujets traités au long du film. Il n'y a pas de doutes, c'était intéressant, j'apprécie toujours autant la façon dont Ruben Östlund choisit de montrer les choses. On se questionne à chaque fois, rien n'est démonstratif, tout est dans la suggestion. Östlund sait soulever les problèmes grinçants de notre société, tout en finesse, sans prendre partie, sans imposer une quelconque vision.
The Square est donc un film qui regorge de questionnements pertinents, mais sa longueur et l'éclectisme des sujets traités joue en sa défaveur. A recommander tout de même pour les réflexions qu'il apporte, malgré ces deux principaux défauts.