Véritable coup de poing lors de son premier visionnage en salle, The Square m'avait soufflé par son rythme, ses images, sa bande-son. Le film pousse également à la réflexion, et un deuxième visionnage permet d'apprécier les nombreuses subtilités scénaristiques.
The Square est un véritable tableau de la société nordique actuelle, et plus largement du modèle occidental. Le film réussit à rendre, dans toute sa complexité, le rapport qu'entretient la classe au pouvoir avec la réalité sociale. La critique de l'art contemporain n'est qu'un biais utilisé par Ruben Östlund pour révéler avec nuances les impasses sociétales dans lesquelles nous nous trouvons.
La première, la plus explicite, est celle de l'érosion de la confiance entre individus. Ou, plus précisément, la montée d'une peur sociale nourrie par la rupture de tous liens entre groupes sociaux et entretenue par les fantasmes et le sensationnalisme. Cette peur est exposée et transmise tout au long du film, notamment dans la scène du vol.
La deuxième est celle de la victoire du clivage manichéen qui est celui du politiquement correct, clivage qui a remplacé l'échelle nuancée et encadrée de la liberté d'expression. Les personnages se retrouvent ainsi obligés d'adopter une posture radicale, poussés par la recherche – très moderne – de la polémique. L'impolitiquement correct devient alors une posture, mieux perçue socialement qu'une modération non-définie qui dérange. Le passage de l'un à l'autre se faisant dans la violence, médiatique (comme lors de la conférence de presse) ou physique (comme dans la scène de l'homme-singe).
La troisième est celle du déni de l'attraction, des attributs et des responsabilités du pouvoir. Les dominants de la société, en proie à la peur précédemment évoquée, refusent d'assumer la place qu'ils occupent pourtant dans les faits. Et c'est là que se développe la plus grande critique du film, celle de la disparition de l'autorité du fort, remplacée par celle de la colère, de l'argent ou du plus grand nombre.
Alors non, The Square n'est pas un chef-d'oeuvre, mais bel et bien une œuvre de génie. Y est transmise une analyse fine au moyen d'une réalisation rythmée qui laisse un effet époustouflant. Cependant, le film s'adresse probablement à un public réduit dont le jury cannois forme l'archétype. De plus, il s'inscrit dans une époque et un milieu particuliers et ne pourrait sûrement pas être compris par mes grands-parents, et je n'espère pas par mes petits-enfants. En ce sens, The Square est une véritable œuvre d'art contemporaine.