L'étrange paradoxe de ce film est qu'il parle deux heures durant de la question de la vérité tout en repoussant sans cesse l’émergence d'une vérité. Celle concernant le meurtre d'un patron d'entreprise par un de ses employés, un soir, aux abords du fleuve qui traverse la ville.
L'affaire semble pourtant pliée dès le départ puisque le principal suspect, un sexagénaire dénommé Misumi avoue sa culpabilité au célèbre avocat chargé de sa défense, le fameux Shigemori. Le film va dès lors consister en une succession d'entretiens opposant le suspect prêt à dire ce qu'on veut lui faire dire et son avocat pris entre son désir d'établir les faits et sa volonté d'élaborer la stratégie la moins pire face à un client qui plaide coupable. Aveux d'autant plus étonnants que l'homme a déjà passé pas moins de trente années derrière les barreaux suite à un premier procès pour meurtre au cours duquel il fut d'ailleurs défendu par le propre père de Shigemori.
Le réalisateur va s'employer à creuser la psychologie des deux hommes, les inscrivant dans un face à face où chacun va jouer le double de l'autre et dans un bras de fer autour de cette question de la vérité ou plutôt des vérités. Celle de Shigemori qui ne cesse de dire que la seule bonne vérité est celle qui évitera la mort à son client ou celle de Misumi dont on perçoit qu'elle est à géométrie variable. Celle de Shigemori dont on comprend assez vite qu'il souhaite avec cette affaire réussir là où son père avait échoué ou celle de Misumi dont les aveux protègent la responsabilité de la propre fille de la victime. Relations père/fils fille/père croisées et tordues.
Le film progresse à petits pas vers la mise en lumière de ce qui semble être les faits, la vérité "vraie", vérité que Misumi fait voler en éclats en laissant entrevoir de nouveaux alibis et même de nouvelles responsabilités.
Le procédé est habile et ne manque pas d'intérêt. Il renouvèle avec originalité ce genre de film (dits de procès) souvent construit de façon inverse : on ne connait rien à la vérité au départ et celle-ci se dévoile au fur et à mesure (alors qu'ici des vérités aussi probables les unes que les autres se succèdent et s'annulent). Mais d'un autre côté on peut aussi lui reprocher une certaine vacuité. A quoi bon autant de bavardages ?, car le film est particulièrement bavard. Quant à la mise en scène, elle enferme le récit dans une redondance de motifs (l'opposition frontale au parloir) et de séquences (celle du meurtre) là où d'autres thrillers "respirent" davantage entre scènes d'action ou d'extérieur. Là, nous sommes confinés dans un affrontement au sens premier du terme : front contre front, deux volontés séparées par la simple épaisseur de la vitre du parloir.
Lors des échanges entre Misumi et Shigemori, et plus particulièrement dans la deuxième partie du film, apparait en filigrane l'idée d'une réflexion sur le cinéma lui-même. L'avocat qui entend établir ce qu'il s'est passé réellement, en vient à sermonner son client qui lui ne cesse de changer de version. Car enfin, il ne peut y avoir qu'une seule vérité, non ?! Or il se trouve que nous même spectateur espérons connaitre cette vérité, celle de l'histoire, celle que le scénariste ou le réalisateur avaient en tête. Sauf que Misumi n'entend rien à rien et dans l'accumulation des différentes versions qu'il nous livre et dont aucune ne prend le pas sur l'autre, il met en évidence cette vérité de La Palice : il n'y a pas de vérité "vraie" au cinéma -qui est, fondamentalement, une fiction-, uniquement celle que les personnages veulent bien nous donner. Et en l’occurrence, Misumi ne se prête jamais à ce petit jeu. La vérité, avec ce personnage atypique, ne cesse de s'escamoter, au point de nous faire douter qu'elle existe...jusque dans la tête même du réalisateur.
Alors un film intéressant certes mais aussi très frustrant.


Personnages/interprétation : 7/10
Scénario/histoire : 6 /10
Mise en scène/musique/photographie : 6/10


6.5/10

Theloma
7
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le 2 déc. 2018

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