Film choc du dernier festival de Cannes, qui est reparti auréolé de nombreux prix, le premier long métrage de Myroslav Slaboshpytskiy est un film hors norme, une expérience encore jamais vu et déstabilisante qui ne peut laisser indifférent. Pourtant en soit le film a tout du film pour festival avec les lacunes que cela comporte et le réalisateur fait parfois un peu preuve de prétention mais néanmoins on a affaire à une expérience sensorielle avant tous et en ça le film sera plus que réussi. Avoir fait un film sans paroles, sans musiques, ou tout l'aspect auditif est réduit permet de revenir à l'essence même de ce qui fait le cinéma, l'image. Ici être presque privé d'un des sens permet de ce concentrer sur ce que l'on voit et de déchiffrer ce que l'on nous dit, ce qui fait qu'on est devant une oeuvre contemplative qui se sert du langage cinématographique pour transmettre son message, tous passe par les acteurs et la mise en scène.
Les acteurs sont d'ailleurs tous sensationnelles, étant sourds et muets comme les personnages qu'ils incarnent, ils livrent des prestations nuancés et complexes en totale accord avec la froideur clinique de l'ensemble. Je ne les citerais pas car leurs noms sont compliqués et que la liste serait trop longue mais aucune fausse note n'est à noter de leurs parts.
Pour ce qui est du scénario, la trame globale est épuré et quelque peu prévisible surtout qu'elle se veut plutôt classique, c'est une histoire qui nous à déjà été raconter sous diverses formes. Néanmoins la romance du film est vraiment touchante tandis que le nihilisme de l'ensemble est admirable, rare sont les films à aller aussi loin dans la noirceur de leur propos car ici il n'y a aucune place pour la rédemption, le film étant une descente aux enfers vertigineuse, malsaine et choquante. Le film pose clairement un constat trouble sur la nature humaine, même les choses qui se veulent belles sont perverties par la violence et l’immoralité ( la romance provient quand même d'une fille forcer à ce prostituer avec son nouveau proxénète ), pour cela ils composent des personnages complexes loin du manichéisme et des clichés. Mais la vraie force du récit est de faire un parallèle judicieux avec l'histoire de son propre pays, difficile de passer à coté de l’allégorie sociale que représente ce film, que ce soit dans la hiérarchie très structuré de la mafia du pensionnat qui renvoi à un régime totalitaire qui exploite et force de jeunes filles à ce prostituer, ce qui renvoi à un climat de Guerre Froide, absence de liberté et d'espoir ainsi qu'omniprésence de la violence. Slaboshpytskiy entreprend donc un film aux thématiques fortes avec une vraie vision d'auteur ( d'ailleurs le film est dans la continuité de ses courts métrages ) et livre une oeuvre à la fois sociale et politique qui est bien plus riche et passionnante qu'elle ne le laisse entrevoir de prime abord.
Le tout sera soutenu par une mise en scène d'une maîtrise absolue, d'ailleurs Myroslav Slaboshpytskiy sait filmer et il le sait. Parfois on sent qu'il veut impressionner la galerie avec ses plans séquences longs et éreintants qui étire parfois les scènes jusqu'à l'extrême pour créer un malaise chez le spectateur. Le film ne cherche d'ailleurs jamais à être une expérience plaisante, ce qui pourra en rebuter beaucoup mais qui fait avant tous la force du film, comment peut on montrer la violence et la dégénérescence d'un pays sans que cela soit une expérience douloureuse qui nous pousse au bord du supplice ? C'est pour ça que le film multiplie les scènes chocs qui sont d'une longueur insoutenable que ce soit les scènes de sexes très crues ( sidérante scène du 69 ) ou les scènes de pure boucherie ( la scène de l'avortement de plus de 6 minutes fait froid dans le dos et file la nausée tandis que le final est d'une barbarie sans nom ). Le film fait grandement pensé au cinéma de Gaspar Noé dans sa représentation très graphique et crade de la violence apportant un vrai malaise qui ne disparaît pas même après la fin du film. Le tout est donc très froid, ce qui peut créer une distance avec le spectateur mais cela crée avant tout une fascination car il y a quelque chose d'hypnotique dans cette manière très opératique de mettre en scène. L'ensemble parait être déconnecter du temps et les personnage semble n'être que des âmes errantes muer par le désespoir.
En conclusion The Tribe est une expérience hors norme et sans concessions doublé d'une oeuvre intelligente aux propos forts qui fait un constat trouble sur une jeunesse en pleine déliquescence, vestige d'un passé réfractaire et totalitaire. Le film n'est clairement pas à mettre entre toutes les mains ne serait-ce qu'à cause de son extrême violence et de sa radicalité et je peux comprendre que le film suscite autant de réactions contraires car il tient de la réussite comme il tient aussi de l'échec. Car oui le film use de son procédé ( la quasi absence de son car seuls les bruitages persistent ) de façon trop "arty" et que le film est conçu pour être un film choc et sensationnaliste afin de créer la polémique mais je passe outre ces défauts évidents ( car ce sont les seuls du film ) pour me concentrer sur l'oeuvre sincère et virulente d'un auteur engagé qui promet de faire des choses intéressantes. Même si il use d'un peu de cynisme et de prétention pour faire son trou c'est toujours mieux que d'avoir été sage et de passer inaperçu, ici il tente sa chance et emporte la victoire avec ce qui est pour moi un chef d'oeuvre incompris et passionnant.
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