C'était une idée qui courait dans l'air à la fin des années 90 : "Et si on faisait un film sur un gars dont la vie entière est une émission de télé ?" Ce qui donnera lieu à deux films : The Truman Show et En direct sur Ed Tv. L'un est un chef d'oeuvre, l'autre se regarde vite fait comme une comédie du dimanche soir. Après, l'idée n'était pas neuve : elle courrait déjà dans la SF, et livres comme Running Man, l'épisode Vengeance on Varos du Doctor Who des 80's, la série Histoires fantastiques et tant d'autres s'y étaient essayées. Mais néanmoins, on retenait Truman Show pour être le film qui avait prévu l'arrivé de la télé-réalité, des Loft Big Brothers, voire des Sims. Il s'inscrit même dans toute une thématique de la paranoïa à cette époque là, où un film raconte l'histoire d'un homme dont toute la vie n'a été qu'une mascarade et arrivant entre Dark City et Matrix.
Attention : Ceci est plus une analyse qu'une critique de film. Ça spoile à tout va.
Mais à le revoir, Truman Show, c'est surtout un solide script d'Andrew Nicchol (Bienvenue à Gattaca, Lord of War) sur une mise en scène de Peter Weir (Le Cercle des Poètes Disparus) : les deux sont conscient du potentiel satirique de leur film et font une oeuvre qui, selon moi, est aussi divertissante qu'elle possède plusieurs niveaux de lectures. Le film se moque à la fois des médias, mais aussi de la perception que l'on a de la réalité et surtout de la propension à l'être humain à se prendre pour dieu, Christof (Ed Harris) se prenant à la fois pour le Père et le St Esprit, persuadé de pouvoir décider du destin d'un homme (a quelqu'un lui disant "il va mourir en direct" il lui répond "il est Né en direct") et restant un sacré hypocrite. (Celui-ci métant un point d'honneur à protéger sa vie privée.)
S'il peut se lire comme une critique de la télévision, c'est aussi une critique du cinéma, de l'image et de sa propension à vouloir "recréer" absolument une forme de vérité à travers le factice. Cela passe aussi par les personnages de Meryl/Hannah et Marlon/Louis, qui sont eux aussi d'anciens enfants stars et dont la vie tourne 24h/24 autour de celle d'un personnage fictif. Le film sous-entendant que le sort de certaines stars n'est finalement pas mieux que celui de Truman et s'illustre par certains détails. (Par exemple, le fait que Marlon propose toujours à Truman d'aller boire des bières (quitte à penser que c'est un prétexte normal pour le réveiller au milieu de la nuit) représente le fait que l'acteur est devenu alcoolique suite à une forme de prise de conscience que ce qu'il fait est mal.)
De plus il y a une sorte de compilation des ressorts dramatiques les plus pourris des fictions, qu'Andrew Nicchol ressort avec délectation : l'expression "to be put on a bus" prenant un sens littéral pour évincer le père de Truman, les placements de produits, le fait que la découverte des événements par Truman soit considéré comme un "épisode spécial", jusqu'à ce dialogue avec Christof :
"Et comment vous allez justifier ces 22 ans d'absence ?"
"L'amnésie"
"Brillant."
Mais surtout, plusieurs personnages sont persuadés de connaitre Truman ("L'homme vrai" au sens premier du terme, étant donné que c'est le seul à Seaheaven qui ne joue pas la comédie) bien mieux qu'il ne se connait. En ce sens Christof pense vraiment pouvoir influencer ses gouts, ses peurs et ses envies. (Notamment son choix amoureux, en évinçant Sylvia, l'une des figurantes/activiste sur laquelle Truman avait jeté son dévolu à la beauté plus "ordinaire" que Meryl l'actrice parfaite.) Tout comme la télévision et le cinéma est certain de manipuler et de connaitre les goûts du téléspectateur mieux que eux-même.
Truman, miroir du spectateur ?
D'ailleurs, s'il y a enfermement, c'est aussi celui du spectateur : on suit les réactions de plusieurs d'entre eux, du gardien de nuit au mec dans son bain en passant par deux anglaises ou une famille japonaise. Or, ceux-ci ne sortent jamais du cadre où on les voit. Vu depuis leur téléviseur, ils ne vivent que dans la pièce dans laquelle celle-ci se trouve, quand bien même cette pièce est leur salle de bain. (Ce qui électrocutera le personnage qui est dedans après le film, selon ce qui est affirmé dans les bonus.)
La seule d'entre eux qui se libérera symboliquement, de cette prison, est Sylvia, que l'on voit se ruer dans la cage d'escalier de son immeuble, quelque plans après avoir vu Truman monter les marches d'escalier vers la sortie. (Le parallèle créant l'idée que les deux vont finir par se croiser.) Les autres préféreront rester dans leur cadre, en zappant sur d'autres chaines.
D'ailleurs, le film garde un cachet "pré-internet" tant celui-ci n'est jamais mentionné. Et c'est pas plus mal, tant l'ajout de cette variable aurait permis de changer le cadre. A la limite, ce qui fait office d'internet est le bar de fans de Truman, où chacun a ses théories, discute des anciens épisodes et permet au spectateur de raccrocher le wagon.
Truman, traqué par le spectateur de ciné
Car Truman show est un film qui lui aussi, nous manipule. Le film est travaillé en trois parties : L'illusion / Les soupçons / La fuite.
A chaque fois, le spectateur passe par plusieurs phases. Il faut dire que par deux fois j'ai vu ce film avec une personne qui ne savait rien de la trame du film et c'est quasiment au même moment qu'ils m'ont enfin chuchotés : "mais en fait, il est dans une émission de télévision." (Le moment où deux serveuses d'un bar de fan font des commentaires.)
Eux aussi on vu des trucs qui leurs paraissaient anormaux (la chute du projo, la pluie qui tombe bizarrement, la façon dont les personnages ont de faire des regards caméras, le changement de format d'image) mais on zappé ces détails en les mettant sur une fantaisie de la réalisation (combien de films avons nous vue où la taille de la lune ne correspondait pas à la réalité ?) qui sera expliqué sans doute plus tard ou dont ils ont gobés les explications. ("La radio dit que c'est un satellite, comme on reparlait pas de ça, je me suis dit que c'était ça.")
Idem avec la transition entre la partie "soupçon" et la partie "fuite" où après une interview et un documentaire qui explique clairement les choses, le spectateur change totalement de point de vue. Celui-ci était placé à côté du point de vue de Truman adopte maintenant le point de vue de Christof et de son équipe technique. Ainsi, lorsque Truman disparait, le spectateur se sent aussi au dépourvu : lui qui pensait tout connaitre de Truman. C'est d'ailleurs illustré avec le passage du miroir de la salle de bain où le spectateur est au côté des techniciens qui ne savent plus si celui-ci blague ou s'il a compris la réalité. Truman, en s'échappant du studio de télévision échappe non seulement au regard des téléspectateurs fictifs mais aussi à celui du spectateur de cinéma.
Je pourrais détailler le scénario encore pendant des heures tant il est hyper bien construit. Il faut dire qu'à l'époque Andrew Nicchols ne touchait plus le sol : il venait de signer Bienvenue à Gattaca, un autre film se passant dans de la SF proche et dont le scénario est aussi un exemple de film minutieux où chaque détails a été pensé. A l'origine le scénario devait être bien plus noir et immoral (Truman couchait avec des prostitués qu'il habillait comme Sylvia) et Peter Weir a brqué un peu en sens invere, accentuant le film sur son côté naïf, notamment par la construction d'un Seaheaven barriolé, littéralement intemporel, à mi chemin entre Pleasantville et le village du Prisonnier.
Et puis, il y a Jim Carrey. A l'époque, le trentenaire est une sorte de mister grimace qui a aligné les comédies principalement basées sur ses performances clownesques : Ace Ventura, Dumb & Dumber, The Mask, Disjoncté, etc.... Il cherchait un moyen de s'enfuir du côté "gros gag" qui lui collait à la peau et le choix fut couillu. (D'ailleurs à l'origine, le projet devait être filmé par un autre gros fan des films de faux-semblant Brian De Palma qui lui préférait Tom Hanks.)
Au final, le choix est hyper porteur, car si Carrey montre son étendu dramatique, il donne à Truman une allure comique qui nous le rend immédiatement sympathique. Et certains passages de pétages de plomb (notamment lorsqu'il décide de "kidnapper" sa propre femme et de foncer en voiture) justifient le côté clownesque de Carrey. Une sacré carte de visite pour l'acteur qui lui donna l'occasion de jouer dans d'autres films dramatiques comme Man on the Moon ou Eternal Sunshine for a Spotless Mind. Carrey expliquera même que ce film reflétait l'état dans lequel il se trouvait à force d'être devenu célèbre, une thématique qu'il réexplorera dans Man on the Moon.
Bon, je fini la critique / analyse ici, alors que je ne vous ai pas parlé d'autres éléments que je trouve géniaux : comme le changement de format de caméras qui nous prépare au changement de point de vue, le fait que l'on voit Philip Glass himself jouer devant Truman endormi, l'idée que Sylvia et Christof seraient juste deux extrême qui ne sont pas si différents que ça, le fait que le film soit à l'origine d'un véritable syndrome psychologique, les théories selon lesquels Simeon (le bras droit de Christof) tenterait de saborder la série de l'intérieur, etc...
The Truman Show est un grand film et tout le monde devrait le savoir.