Prolapse Declaration
Une synthèse de tous ses courants idéologiques affichant une fausse débilité décontractée, mélangée à un peu de caca et de vomi.
C'est en ces termes qu'on m'introduit à la culture queercore il y a quelques années. À l'instar du riot grrrl, le mouvement a connu une résurgence dans l'underground anglo saxon depuis la fin de la décennie passée, et c'est ainsi que le canadien Bruce LaBruce se retrouve à réaliser sa déclinaison queercore du canevas du Théorème de Pasolini avec The Visitor.
Bon dans le cas présent, le vomi manque à l'appel, mais même sans cela, le film arrive à déployer bon nombre de chausses trappes dans lesquels on aurait vite fait de sauter à pieds joints, se sentant Jacques Rivette devant son travelling de Kapo.
Qu'à donc The Visitor de si terrible ?
Commençons par le commencement, il y a le voyageur, assez mystérieux, dont on ne saura quasiment rien, mais dont la caractérisation relève de la double signification de l'altérité anglo saxonne,
1. celle désignant négativement un étranger, l'homme noir, les stéréotypes racistes qui lui sont associés (hypervirile, hyperlascif, magical negro), mais ici dans un cadre qui est celui du renversement sémantique inhérent à la culture queer
2. l'alien, se sont ses détails dans le film qui donne au personnage un caractère presque de l'ordre de l'inquiétante étrangeté, qui le détache de l'humanité, malgré son corps et ses fluides : sa première apparition, sortant d'une valise et recouvert de lubrifiant, qui évoque une éclosion ou une naissance, son espèce d'albinisme occularocoïtal.
Dans un sens, les deux sont le fond et la forme et ce mystère de l'altérité, mis en perspective avec ce qui est annoncé comme le sujet du film (le racisme au Royaume Uni), on pourrait y voir une occurrence de Levinas.
Ensuite, il y a le repas, le sang, le pipi, le caca auxquels s'ajoute le sperme un peu plus tard.
Lesquels s'inscrivent presque dans une tradition de l'art transgressif (on peut penser au Piss Christ de Serrano), et occupent ici une place de choix. Passé l'exaspération, le dégoût ou l'amusement puéril (stade analien ?) suscité.e, ils sont les fluides impures du Lévitique et répondent à une fonction symbolique, celle de renversement de l'ordre moral, tel qu'introduit par le geste de Sade.
C'est dans le prolongement de ce même geste, qu'on voit l'inceste se tailler la part du lion. Depuis Sade, briser ce tabou participe de ce renversement jusqu'au boutiste de l'ordre car il est la transgression finale. Il touche à la structure fondamentale de la société, la famille, c'est la violation ultime des normes, des interdits, de la moralité individuelle, de l'autorité et du contrôle imposé. En somme, une libération de la morale et un symbole de liberté absolue. C'est donc logiquement qu'au coït incestueux succède la déclamation de la fin du patriarcat, et l'avènement de la révolution pansexuelle.
Alors bon, rien de bien surprenant à ce que l'on qualifie tout cela d'abject, c'est le prix de ce jusqu'au boutisme. Mais, sans désavouer le plaisir régressif que m'a procuré le film, j'en garde une indécision. Pasolini, Bataille (l'idée de transcendance dans l'érotisme, l'ascension mis en relation avec la suspension corporelle par un effet de montage), Sade : je vois LaBruce déployant son petit programme transgressif, me montrer qu'il a bien étudié ses maîtres, déclinant soigneusement leur régime de signes et de symboles mais au final qu'apporte t-il de nouveau comme motifs susceptibles de prolonger ou de renouveler cette perspective ? Est-ce que son point de vue a plus à offrir qu'une déclinaison queercore ? Est-ce que ça ne devrait pas me suffir également ? Quelque part, The Visitor avec ses jolis reflets aqueux du baptême, ses effets visuels, sa musique qui pétarade à en faire taper du pied de jalousie Ken Russell, partage ce paradoxe qui traverse une certaine tendance du cinéma transgressif actuel, d'être fondamentalement un cinéma de bon élève. Dans un sens, il m'évoque le « scandale » cannois de Titane, ou un autre film de bon écolier avait choqué des mamies dragons de vertu. Alors, à propos de scandale, qui de mieux que Pasolini pour donner le mot de la fin ?
Scandaliser est un droit, être scandalisé un plaisir, et ceux qui refusent d'être scandalisé sont des moralistes.
Créée
le 11 sept. 2024
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