Un film aussi jubilatoire et anticonformiste que The Wicker Man peut avoir un effet inattendu : faire de nous des réactionnaires, tentés que nous sommes d’entonner la ritournelle du « c’était mieux avant. » Que ne donnerions-nous pour retrouver, plus de quarante ans après, une telle audace et un libre esprit aussi frondeur ? Où sont les producteurs osant financer de tels ovnis ? Le remake de 2008 semble en être la preuve ultime : avec Nicolas Cage, et apparemment d’une pudibonderie crasse, il enfonce le clou de la démonstration.
Revenons donc en cet an de grâce 1973 : l’eucharistie qui ouvre le film, anticipation ô combien ironique, installe déjà la splendeur des décors et les rites acceptés de la civilisation européenne, pour mieux les confronter à ceux de l’étrange île que va visiter le protagoniste. Voyage spatial (un très beau et long générique vu du ciel), qui semble devenir temporel, par l’incursion dans une société qui semble régie par les ancestrales lois païennes.
Rivé au point de vue du policier british jusqu’au bout des ongles, le spectateur découvre avec la même stupeur un autre monde. La gradation est parfaitement menée, commençant par des chants paillards sur la fille de l’aubergiste reprise en chœur par la communauté, pour se poursuivre par des visions de copulations joyeuses sur les pelouses communales. Alors que le récit d’enquête prend toujours un malin plaisir à déjouer ce qu’on veut lui cacher, The Wicker Man prend l’exact contre-pied de ce procédé : ici, tout se dit. De la même façon qu’on explique dans les écoles la reproduction et le plaisir de la chair, on expose sans filtre à l’étranger des coutumes hors-norme. Et la plus simple façon de les justifier consiste à montrer en quoi la pensée judéo-chrétienne n’est que la victoire historique d’une secte parmi tant d’autres.
The Wicker Man est provocateur, libertaire et surtout très drôle. À mesure que l’enquête progresse, le spectateur est invité à remettre en cause ses propres conceptions, de la même manière que le point de vue s’élargit pour quitter par intermittence celui du policier. L’ïle devient une sorte de jeu de piste à la fois macabre (il s’agit de trouver un corps) et terriblement vivant de par le folklore et la cérémonie qui s’y déroule.
La tournure plaisamment cruelle que prend l’intrigue, à mesure que l’ascension sur l’île tourne au délire, prend une direction qui sied totalement à ce que le film annonçait : rares sont les occasions où le dénouement n’est pas, en pareil cas, déceptif, et The Wicker Man déroge vaillamment à la règle.
Méchant, libertin, espiègle, tellurique et biologique : un film de santé publique.
(8.5/10)