Le film augurait une promesse, celle de parler enfin de l’histoire africaine, pas celle rêvée du Wakanda, pas celle difficile de sa diaspora, l’histoire avec un grand H où des stars afro-américaines ne tiendraient pas un rôle prétexte et secondaire ou ne réinterprèteraient pas un personnage issu de la culture occidentale. C’était aussi l’occasion de mettre en avant des femmes noires fortes et puissantes, ce qui demeure bien trop rare. Ce fait est indiscutable : trop peu de films évoquent l’Afrique et son histoire, et surtout trop peu de films avec des stars et du budget. 

Et le sujet était tout trouvé, promettant de l’action, de la politique et des réflexions historiques, celui des Amazones du Bénin, les Agoodjié ou encore Mino (nos mères en langue fon), une unité d’élite du royaume du Dahomey (le pays, la maison du serpent, littéralement) redoutable et redoutée, et entièrement féminine. Armées de machettes, de sabres, de lances et de fusils, elles ont tenu un rôle majeur dans la puissance militaire du royaume, depuis leur création a la fin du 18eme siècle jusqu’à leur dissolution un siècle plus tard. Tout est éloquent chez elles : leur nom inspire jusqu’à la peur puisqu’agoodjié signifie « prenez garde » et c’est un tel symbole pour le Bénin qu’une immense statue d’une amazone a été inaugurée récemment sur le boulevard littoral de Cotonou, Patrice Tallon (le président) se gargarisant de leur aura, à grand renfort de défilés où de jeunes béninoises ont interprété chants et danses des Amazones. 

Mais voilà, tenir un bon sujet ne suffit pas à faire un bon film même si c’est rafraîchissant et louable et ce long métrage de guerre épique est finalement un bien piètre blockbuster américain dont l’objectif est de séduire avant tout le public afro-américain. Les USA commettent toujours les mêmes impairs avec l’histoire, une discipline scientifique qui décidément de ne les intéresse pas. 

L’impair est tel que l’introduction ne précise même pas où se situe le royaume du Dahomey. On ne sait même pas que ça se passe dans le Bénin actuel ! Ils se sont rattrapés en faisant une avant-première à Cotonou. D’ailleurs le film ne reprend que peu d’éléments de la culture de ce pays, ce qui est le comble vu que c’est son sujet. Seule la salle du trône du palais d’Abomey paraît proche de la réalité ainsi que les tenues des Amazones. Pour le reste, ce n’est que pure fantaisie : même les chants ne sont pas en langue fon, et la danse n’a aucun rapport avec les danses béninoises ou des environs. Et bien des prénoms ne sont pas béninois (sauf Maganon, Migan...) Un des prénoms est même une invention d’un officier français qui trouvait ça joli. Le comble vu le message du film ! Plus encore les coiffures et les costumes sont fantaisistes. On trouve ainsi du wax, tissu pourtant importé par les colons, et certainement pas porté par la cour d’Abomey à l’époque. Les bijoux et les parures (sauf le spectre royal, tout à fait béninois) sont même égyptiens dans l’inspiration. Ici on trouvera l’influence des thèses de Cheick Anta Diop qui parle de l’Égypte comme origine de l’Afrique, du panafricanisme. Il faut moins faire béninois qu’africain. Concernant les acteurs, pas mauvais, aucun Béninois sauf la célèbre chanteuse Angélique Kidjo qui tient un tout petit rôle. On a pourtant un habitué des studios hollywoodien, Djimon Hounsou (Gladiator) qui était tout trouvé puisque Béninois ! On a pris essentiellement des acteurs soit afro américains (Viola Davis) et donc éloignés de l’Afrique, soit d’origine nigériane voire carrément sud africaines ! Certes le Nigeria est voisin et partage des traits culturels communs mais c’est un pays anglo-saxon à l’histoire finalement séparée de celle du Bénin, ex colonie portugaise et française. Ainsi l’accent des acteurs est nigérian (John Boyega en premier lieu) mais ce problème est lié au fait que le Bénin n'est pas anglophone mais francophone, les accents sont donc d'une autre nature.

Plus encore le contexte politique et la raison d’être des Amazones sont évacués ou traités avec une légèreté fautive. En effet on atterrit en 1823, au début du règne du roi Ghezo. Mais on ne comprend pas les forces en présence : il y a d’un côté le royaume Oyo, ennemi et suzerain de Ghezo mais aussi les comptoirs européens tenus par les Portugais et les Français. Le film édulcore les enjeux, présentant les Oyo comme des rustres barbares esclavagistes aux allures touaregs et crasseuses (pourtant on en était loin) alors que le royaume du Dahomey et notamment les Amazones ont bénéficié de la vente d’esclaves. Par ailleurs, les occidentaux sont présentés comme esclavagistes et colonisateurs alors que les deux phénomènes ne sont pas concomitants historiquement.

Pire, à occulter la radicalité des Amazones et de leur combat, les Amazones étant impitoyables et fanatiques, comme toute unité d’élite, les Amazones ayant réduit en esclavage des prisonniers de guerre pour les revendre aux Européens, le film commet un autre impair car il présente ces femmes animées de vengeance et sans stratégie et indisciplinées ou réfractaires. A la fin, elles massacrent pour des raisons personnelles des occidentaux et des soldats oyo dans le fort du port de Ouida. De telles actions ne font l’objet qu’aucunes représailles des Portugais et des Français. Ce massacre est une justification à l’attention des afro américains, descendants d’esclaves, une revanche pour leur mémoire : oui, vos ancêtres ont tué des blancs. Ils n’ont pas été que des victimes. L’histoire est tellement plus subtile pourtant.

De façon générale, on comprend très mal le positionnement de Ghezo et de sa cour, à la fois esclavagiste (sans l'assumer dans le film) mais cherchant à sortir de ce commerce, souhaitant détruire les Oyo tout en s’émancipant des européens. L’intrigue de palais, entre les épouses royales et Maganon, la cheffe des amazones est tout aussi peu lisible. La religion vaudou, montrée dans le film (notamment la divinité Ifa), n’est jamais reliée aux amazones. C’était le cœur du Bénin. C’est indissociable. On ne fait pas non plus évocation de la reine Ahangbé, jumelle royale qui a créé ce corps d’élite. Cette gémellité est pourtant fondamentale dans la mesure où elle est inscrite dans les origines du vaudou et donc nourrit plus encore la dimension religieuse et mystique des amazones. 

Venons en à l’intrigue justement. Car si le film pêche par son contexte ce n’est pas si dramatique pour un blockbuster grand public. Ses défauts sont surtout liés à son écriture très confuse. Si le contexte des batailles est avéré, le film se perd dans le mélodrame, faisant de l’héroïne, Nawi (Thuso Mbedu) la fille cachée de Maganon, ébauchant une relation sentimentale avec un métisse brésilien (les Agoudas, réalité du Bénin très importante, souvent des enfants de négriers) et là encore on ne comprend pas le rôle des occidentaux, celui allant jusqu’à aider cette femme qu’il connaît pas et dont il comprend miraculeusement la langue et étant par ailleurs le meilleur copain d’un esclavagiste. Le film est verbeux, les dialogues sont plats, plein de bon sentiments ou des amazones sensées être impitoyables se confient sur leurs douleurs en public. C’est très américain ici et bien peu africain… 

Les scènes de bataille et d’entraînements sont nettement plus réussies, bien que gâchées par les incohérences précédemment évoquées. On retrouve ainsi des anecdotes exactes comme le fait qu’il fallait éviter du regard les Agoodjié, et qu’elles traversaient des murs d’épines à moitié nue en guise d'entrainement. Le personnage incarné par Lashana Lynch est le plus intéressant, drôle, humain et sans pitié, servant de mentor à la jeune héroïne. Maganon (Viola Davis) est un beau portrait de femme mais bâclé. Le côté exagérément spectaculaire des scènes d’actions n’est cependant pas très dérangeant. 

Je me suis montré particulièrement critique mais il ne faut bouder le plaisir d’avoir des films sur l’Afrique. D’abord, il s’agit d’un film d’action et qui ne prétend pas à plus. Au fond, c'est un film comme les autres. Ensuite, un nouvel élan existe, lancé par Black Panthers, notamment. Le Nigeria en particulier est dans une dynamique culturelle énorme et ce pays occupe de plus en plus l’imaginaire africain. Ici c’est le cas. Nous avons de beaux héros africains et de formidables personnages à découvrir. Les batailles, les intrigues, les romances ne manquent pas sur ce continent. Reste à ne pas idéaliser l’Afrique, à l’essentialiser pour en faire un paradis merveilleux. Les Africains méritent d’être représentés dans toute leur humanité, c’est à dire comme des hommes comme les autres. Le film cherche la réhabilitation, légitime, et à trop la chercher fait de l’Afrique une caricature grossière. C’est un projet panafricain qui se heurte à la spécificité de son sujet. Il faut donc le voir comme un jalon sur lequel d’autres s’appuieront pour produire de très grands films. On aura parlé de l’Afrique et du Bénin, petit pays à la grande histoire, souvent oublié, et ça c’est déjà mieux que rien. Les Béninois, pour beaucoup, savourent.

Tom_Ab
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le 7 juil. 2023

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Tom_Ab

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