Film d’une grande radicalité, Théorème allie deux tendances apparemment contradictoires, la rigueur d’une démonstration idéologique et la forme libre d’un poème en prose.
La construction du récit, avec l’annonciation, la venue puis le départ du Visiteur, dont les conséquences se démultiplient sur chaque membre de la famille, a tout d’un programme. Le milieu bourgeois, fortement représenté par la riche demeure, son vaste jardin et sa multitude de chambre se pose comme l’affirmation d’une assurance, d’un minéralité établie et bien entendu illusoire. Le visiteur, à la fois vers dans le fruit et haricot magique, va faire sortir les résidents qui vont se déployer sur le monde par leurs révélations respectives : la sexualité, l’aliénation, l’économie, la philanthropie, l’art, la sainteté. Messie athée, révélateur des potentiels humains figés dans une société de la mesure et du refoulement, le silencieux visiteur propose une apocalypse que Pasolini appelle de ses vœux : oui au scandale, oui à la révélation d’une vérité de notre être, à la libération de nos élans profonds, à notre accession au statut de dieux incarnés.
La forme a de quoi surprendre : très fortement elliptique, toute entière fondée sur de longs silences, elle donne avant tout à voir l’échappée du récit et de sa logique traditionnelle. Déchargés de l’obligation de signifier par des actions standardisées et tacites, les personnages déroutent, se laissent aller. L’univers devient onirique, mystique, fortement symbolique, échappant souvent à dessein à l’interprétation. On ne peut pas dire que Pasolini soigne particulièrement sa plastique, exception faite sur certains plans d’ensemble, que ce soit de l’architecture des hangars de l’usine du père ou des plans du désert montagnard où passent les nuages. Sous l’égide d’un lancinant et de plus en plus présent Requiem de Mozart, les séquences s’enchainent comme les strophes irrégulières d’un poème dont la première lecture annonce un sens qui ne se livre pas immédiatement, mais dont le pouvoir de fascination est indéniable.
Film comme seules ces années-là en produisirent, Théorème dit l’ébullition d’une époque, la recherche audacieuse et la volonté d’explorer de nouvelles terres, à l’image de ce désert final, où l’homme nu hurle, libéré de toute attache sociale ; il est par ailleurs troublant de considérer à quel point la similitude visuelle est forte avec la scène centrale de Zabriskie Point qui paraîtra l’année suivante : même décor minéral et venteux, même rapport de la nudité à la matière, à une différence de taille : ce sont des couples qui s’y ébattent là où le protagoniste de Théorème semble simplement chercher à accomplir la parole divine en retournant à la poussière.

Sergent_Pepper
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le 15 oct. 2013

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