La grande époque des films de Vampires est révolue depuis belle lurette, si le mythe des immortels aux longues canines est aujourd'hui majoritairement et malheureusement représenté dans la culture populaire par des romans à l'eau de rose pour jeune fille en fleur, ou des films d'action abrutissants tenant plus du blockbuster Marvel que d'un réel film d'horreur, il ne faut pas oublier que dans l'ombre, certains artisans continuent de faire perdurer ce mythe hollywoodien de la plus belle des manières, sans rencontrer de grand succès pour la plupart, depuis les essais de Neil Jordan, Coppola et Carpenter dans les années 90, qu'à-t-on eu à se mettre sous la dent? Il y a bien eu le Blade 2 de Del Toro qui ravivait quelque peu l'espoir de retrouver une franchise forte de films de Vampires sur grand écran, espoirs malheureusement vite douchés par une suite ignoble couplée aux problèmes judiciaires de Wesley Snipes, avant que la vague des Underworld/Twilight ne vienne déferler et jeter un sacré de froid sur ce genre autrefois épargné par ce type de productions. Cela étant dit, on assiste depuis quelques années à un renouveau artistique du film de Vampires, principalement au travers des 3 œuvres que sont Byzantium, Only Lovers Left Alive, et Der Vampir auf der Couch, dont nous allons parler aujourd'hui, cette coproduction suisse-autrichienne choisit une approche ouvertement comique en nous contant l'histoire d'un Vampire dépressif bénéficiant des services de Sigmund Freud en personne au début des années 30. Un film bénéficiant donc d'une approche pour le moins originale et complètement différente de ce à quoi le public est habitué.


Est-ce pour autant suffisant pour en faire une œuvre marquante? C'est ce que nous allons voir de suite avec un petit tour du côté du synopsis:


Vienne, 1932, le comte Geza von Közsnöm (Tobias Moretti) est un très vieux vampire qui a perdu le goût de vivre depuis bien longtemps. Ne prenant même plus la peine de se nourrir lui-même d'humains, il se contente de grignoter les flacons de sang recueillis par son assistant. Il vit une existence morne en compagnie de sa femme, la comtesse Elsa von Közsnöm (Jeanette Hain). Un beau jour, après avoir fait appel aux services du Dr. Sigmund Freud (Karl Fischer), il aperçoit une peinture réalisée par son assistant, Viktor (Dominic Oley). Le tableau représente une femme étrangement ressemblante à l'un de ses anciens amours, perdu depuis longtemps, il s'avère qu'il s'agit d'un portrait de la petite amie de Viktor, Lucy (Cornelia Ivancan). Geza développe vite une fixation sur Lucy et décide de la rencontrer par tous les moyens nécessaires...


Pour commencer, il est clair que faire figurer le Dr. Sigmund Freud dans le casting d'un film de Vampires est un parti-pris pour le moins intéressant, on constate d'ailleurs rapidement que l'accent est fortement mis sur l'aspect "thérapeutique", et ce, dès le titre même du film (Couch signifiant littéralement "canapé" en allemand, ce qui fait référence au célèbre canapé du psychiatre). Malgré l'attention que cet élément de scénario reçoit, les personnes excitées à l’idée de découvrir un chapitre fictif oublié de la vie de Freud risquent d’être quelque peu déçues par l’utilisation qui en est faite ici. Le psychanalyste tient en fait un rôle pour le moins mineur, et le développement scénaristique aurait tout à fait pu se situer à une autre époque, avec un autre thérapeute lambda qui aurait été joué exactement de la même manière. L'inclusion de la figure historique est en fait utilisée principalement comme un ressort comique jouant sur le décalage entre la situation présentée et l’idée que l’on se fait habituellement du personnage de Freud, si l’utilisation de ce caractère se révèle un peu superflue dans l’ensemble, elle donne tout de même lieu à un certain nombre de situations cocasses qui ont au moins le mérite de faire rire, ce qui est la vocation première de ce film après tout.


Un point d'intrigue intéressant se déroulant en parallèle de la quête de Geza se concentre sur le personnage d'Elsa et son obsession pour son reflet, qu’elle n’a plus vu depuis bien longtemps. En effet, dans sa condition de vampire, Elsa ne peut tout simplement pas se regarder dans un miroir, elle a donc embauché divers artistes au fil des ans dans le but de la peindre de la manière la plus fidèle possible, las pour elle, aucun n'a été à la hauteur de la tâche. En fait, parler d’intrigue parallèle serait réducteur. Car au final, la quête de ces deux protagonistes consistant à retrouver une chose perdue depuis longtemps au travers de la peinture finit par devenir le cœur même du film, rendant le titre un peu trompeur. Ce qui n’est en rien une mauvaise chose car cela permet de développer quelque peu l’ampleur scénaristique, particulièrement dans ses ressorts comiques, l’opposition de style entre les différentes intrigues est appréciable, on verra ainsi se développer un humour purement lyrique et léger lors des scènes de psychanalyse impliquant le compte Geza et Freud, opposé à un comique excentrique allant parfois jusqu’à citer les Three Stooges dans le reste du film.


David Rühm semble également prendre un malin plaisir à manier les clichés typiques des films de Vampires, y compris quelques détails intelligents, comme l’explication du phénomène qui empêche les peintres de capturer la réelle beauté d'Elsa. Le film pêche cependant dans d’autres domaines, comme les confrontations très étranges qui nous sont présentées entre Geza et sa femme, avec notamment certains effets visuels quelque peu bâclés. Le film se montre parfois trop excentrique là où un peu plus de sobriété aurait été bienvenue, ce qui occasionne une perte de charme dans une partie du métrage, rien de bien grave au final fort heureusement.


Pour parler un peu du casting, Moretti suinte tout simplement la sophistication au travers de son personnage, une sophistication tout droit sortie du vieux monde au travers de ce personnage de compte fatigué et blasé de la vie. Reza est las d’appliquer depuis des siècles le sempiternel cycle "Chasse à l’homme - Repas". A tel point qu’il se sert de son serviteur pour récolter le plasma sanguin de pauvres passants innocents traversant les allées sombres bordant sa demeure. L’unique chose plus vivifiante pour lui que le goût du sang est son obsession pour la réincarnation de son amour de jeunesse (on notera notamment la façon dont Moretti évoque son nom, dans une sorte de gémissement désespéré qui ferait presque froid dans le dos). À l'extrême opposé du personnage de Reza se trouve celui d’Elsa, joué par Jeanette Hain, qui pratique en revanche un jeu tout en exubérance, induisant un plaisir joyeux, presque enfantin, notamment lors de ses repas (en jouant avec sa nourriture bien évidemment). Son entrain se ressent également visuellement, avec sa tendance à se salir comme un bébé apprenant à manger, au détail près qu’elle se retrouve couverte de sang et non de bouillie. Mais on se rend vite compte que ce personnage cache une facette plus triste, notamment lorsqu’elle commence à oublier son propre visage, ce qui offre la possibilité à Hain de développer un large spectre d’émotions et de fournir un travail d’interprétation complet.


Les personnages secondaires ne sont pas non plus en reste dans ce film, le serviteur incarné par David Bennent n'est pas l'habituel laquais typique des films d'horreur. Il possède un fort ressentiment envers son patron ("Ou, le vieil imbécile impuissant", comme il aime à l’appeler), alimenté par le dédain et le dégoût. C’est également un personnage au centre de plusieurs ressorts comiques hilarants. Karl Fischer semble vraiment prendre du plaisir en jouant le Dr. Sigmund Freud avec une prestation joueuse, développant un esprit très pompeux au milieu de nombreuses situations cocasses. Après tout, il ne s’agit jamais que du père de la psychanalyse s’occupant d’un monstre mythique, d’un cauchemar ambulant pour être plus précis. Le personnage de Dominic Oley développe une grande énergie exacerbée par le romantisme de la jeunesse. Sans savoir au départ qu'il aliénerait son amour de par son besoin de sur-idéalisation au travers d’une œuvre d'art. La révélation artistique de ce film se révèle toutefois être l’actrice Cornelia Ivancan, tout simplement éblouissante dans le rôle de Lucy, qui se révèle être bien plus qu’un simple ressort scénaristique. Elle est intelligente, impertinente, et ouverte à l’exploration des différences.


Les performances d’acteur sont, dans l’ensemble, d’excellente facture dans ce film, et il serait intéressant de revoir certains membres du casting dans des productions à plus grosse affiche, ils le méritent clairement, Ivancan serait parfaite en James Bond Girl, si seulement Barbara Broccoli pouvait lire ces lignes…
Dans l’ensemble, David Rühm a concocté une joyeuse farce qui se laisse déguster sans sourciller. Ce film possède un équilibre impressionnant entre l’humour lyrique et la comédie burlesque. Et même dans son équilibrage entre horreur et comédie, ce film fait preuve d’une adresse certaine, en penchant tout de même clairement vers la comédie, déclenchant le rire à travers un mélange de jeux de mots, de gags visuels, et un certain goût pour la comédie physique. Contrairement à beaucoup d'autres comédies horrifiques, ce film fait preuve d’une certaine retenue, en ne s’aventurant jamais trop loin dans propre délire, ce qui évite toute forme de maladresse.


Visuellement, le film possède un aspect luxuriant grâce aux décors composés majoritairement de vieilles rues typiques de l’Europe centrale, sans oublier l’apport important de costumes et accessoires d'époque (La berline du compte notamment, une véritable pièce de musée). Le cinéaste use également de nombreuses astuces visuelles, impliquant particulièrement beaucoup de jeux d’ombres, très semblables à ceux du Dracula de Coppola. Certains trucages sont également stupéfiants de justesse, David Rühm et son directeur de la photographie Martin Gschlacht sont parvenus à capturer, à l'aide de quelques manipulations numériques, des images réellement saisissantes qu’on ne s’attend pas à voir dans un film aussi modeste.


On appréciera également l’utilisation des légendes sorties tout droit d’histoires de Vampires classiques, comme la règle voulant que le compte et sa femme doivent être invités dans une maison avant de pouvoir y entrer. Ou encore le fait que les vampires possèdent tous un violent trouble obsessionnel consistant à ... compter sans pouvoir s’arrêter, une condition connue sous le nom d'arithmomanie, qui peut être utile dans le but de distraire un vampire en lançant toutes sortes de choses à travers une pièce. Ces éléments sont tous brillamment utilisés et surtout parfaitement intégrés dans un cinéma résolument moderne.


Un point plutôt intéressant d’ailleurs lorsqu’on se rend compte que Rühm est un vétéran du cinéma, et qu’il s’agit de son premier long-métrage après une pause de dix-sept ans. Son retour est donc plus que réussi, même si l’on pourra lui reprocher de ne pas avoir exploité le personnage de Freud à sa juste valeur, ou encore de délivrer une mise en scène un peu trop tape-à-l’œil dans certaines séquences, mais ces quelques points noirs sont largement gommés par une direction d’acteur de haute volée, et surtout un sens du lyrisme et du langage visuel hors du commun.


Dans l’ensemble, il s’agit d’un film vraiment amusant à regarder, qui électrise son spectateur tout au long de ses 88 minutes, en filant à un rythme rapide. On s’investit sans mal dans l'histoire de ces personnages étonnants, sans oublier que l’œuvre développe une morale intéressante qui fait réfléchir sur la condition des personnes dépassées par leur époque, tout un programme!


Avec ce mélange de comédie et de film de Vampires, il aurait été facile pour le premier venu de livrer un métrage convenu, surfant sur la vague des films pour adolescents des années 2000. Bien heureusement, David Rühm n’est pas fait de ce bois-là, et Der Vampir auf der Couch se révèle être une comédie horrifique tout à fait valable, qui possède certes des défauts, mais est tout de même tirée vers le haut par un style de réalisation bienvenu et merveilleusement intentionné, en somme, un film qui aime ses personnages et cherche à jouer avec son public, sans le prendre pour un demeuré, et cela fait évidemment plaisir!

Schwitz
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le 11 févr. 2017

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