Alors que des personnalités du monde de la Bossa Nova brésilienne évoquent le rayonnement mondial de leur musique, elles s’empressent aussi de préciser à quel point elles étaient elles-mêmes influencées par les pays donnaient à leur musique un tel rayonnement. Cette musique cristallise donc une époque à la croisée des genres (tradition locale, jazz, pop), dans une hybridation qui définit complétement le film venu la mettre en lumière. Entre documentaire et reconstruction fictive, série d’entretiens et reconstitution bigarrée en animation, plongée dans la musique et thriller politique, They shot… déploie un très large éventail qui pourra peut-être perdre quelques spectateurs en cours de route.
Le projet ne manque pourtant pas de cohérence : l’animation permet, par un éclatement de couleurs dans des palettes distinctes, de faire cohabiter les époques et les atmosphères, de l’insouciance chamarrée des clubs brésiliens aux heures sombres de la dictature, tout en faisant la part belle aux voix des différents témoins. Assez rudimentaire, sans grande fluidité, elle recompose les instantanés d’une époque perdue, dans un univers graphique très proche de la bande dessinée, découpant des silhouettes en 2D pour figurer le carnaval de Rio, se contentant de quelques traits pour certains décors, dans une figuration naïve spontanée assez proche du caractère du protagoniste sur lequel on enquête.
Car le film a surtout pour objectif de restituer un documentaire prenant une tournure inattendue : dans le monde profus des musiciens, une disparition étrange suscite la curiosité, et dérive progressivement vers la fin des années festives, à travers la série de coups d’état pilotés par les USA pour garantir sa sécurité démocratique tout en imposant des dictatures sanglantes dans les pays voisins.
La démonstration édifiante mêle ainsi les témoignages personnels à la grande Histoire, et cette terreur d’État consistant à faire disparaître des corps en verrouillant toute possibilité de deuil et de mémoire établie. Si le projet souffre de quelques longueurs et de maladresses d’écriture dans des motifs redondants, l’essentiel reste donc cette volonté tenace de marquer les consciences et conjurer l’effacement organisé des individus, dont survit une musique que le film parvient à mettre en lumières et en couleurs mémorables.