Haruki Marukami a de la chance, les adaptations au cinéma de ses œuvres ne semblent pas jusqu’à présent avoir donné lieu à des films ratés. Au contraire, on a pu toucher une certaine grâce, avec les récent Burning de Lee Chang-dong et Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi. Je pensais vraiment qu’on pouvait difficilement faire mieux que ces deux-là, mais c’était sans compter avec Tony Takitani.
Je l’avais vu il y a très longtemps, à l’époque des Divx de piètre qualité, sur un petit moniteur d’ordinateur. Souvenir flou et endormi, je crois que j’avais fini par faire autre chose tout en laissant le film continuer. Le film n’était pourtant pas long : 1H15 (parfait pour adapter une nouvelle, on n’est pas dans le développement de trois heures – développement pourtant réussi à mon sens – de Drive my Car).
Or, je viens de retenter hier l’aventure avec une copie d’excellente facture. D’emblée, j’ai eu un peu peur : couleurs fades, piano mélancolique non-stop, jeu minimaliste des acteurs, voix neutre, sans chaleur et omniprésente d’un narrateur, je me suis dit que ça sentait l’abandon au bout de dix minutes. Mais en fait, non, c’est tout le contraire qui s’est passé : après l’introduction, au moment où Tony devient un jeune étudiant féru de dessin, j’étais pris. Pris par ces couleurs fades, ce piano mélancolique, etc. Dans sa manière d’aborder Murakami, Ichikawa a opté pour une approche à la fois littéraire, illustrative et poétique. Littéraire parce que plutôt d’adapter le contenu narratif par des scènes, il préfère puiser abondamment dans les phrases de Murakami pour les faire dire par un narrateur. Illustrative parce que du coup, le film se construit par une succession de vignettes, de miniatures accompagnant ces phrases. Poétique parce que l’association de tous ces éléments, de la musique (Ah ! le score est de Ryuichi Sakamoto) et du jeu en retenue – mais très convaincant, Issei Ogata est très bon dans le rôle-titre – des acteurs, contribue à rendre le film hypnotique.
À cela s’ajoute l’histoire : on y suit donc la vie de Tony Takitani, fils d’un jazzman peut fait pour être père. Doué pour le dessin réaliste, Tony gagne fort bien sa vie mais finit par être gêné par un fort sentiment de solitude. Il tombe alors amoureux d’Eiko, une femme plus que lui de quinze ans et qui est une acheteuse de vêtements compulsive, qu’il parvient à épouser. Elle finit par disparaître, ce qui incite Tony à engager une employée avec la même taille pour travailler chez lui, en se vêtant des habits de sa femme, pour l’aider à en faire son deuil.
Je ne raconte pas la fin. Disons juste qu’il s’agit d’une histoire qui, si elle est dénuée pour une fois du réalisme magique cher à Murakami, a des allures de conte contemporain de par sa simplicité et sa manière de monter en épingle des choses courantes (l’obsession de la femme pour les nouvelles parures). Il y aurait toute une rêverie que l’on peut entreprendre sur le personnage de Tony dont le prénom américain est perçu d’emblée comme un abâtardissement, une monstruosité. Monstrueux aussi est son style graphique, très poussé dans son réalisme, mais perçu comme sans chaleur par les professeurs de Tony. Enfin il trône seul dans sa grande maison luxueuse (mais bien froide), désireux d’y faire venir une femme jeune et belle. Il y parviendra, afin de la faire mourir à cause d’une demande malheureuse (et pourtant nécessaire ; j’y ai vu une sorte de mise à l’épreuve, un peu comme Barbe bleue le fait avec sa femme). Enfin le motif de la pièce secrète et celui du sosie pour remplacer l’épouse défunte. Des éléments tout simples, mais parfaitement prenants et, dans cette druée brève d’1H15, suffisants pour capter l’attention du spectateur.
Tony Takitani est-il donc la meilleure adaptation d’une œuvre de Murakami ? Ça se discute mais, si l’on est sensible à une poésie de la solitude, de la perte, d'une existence qui peine à se trouver un but, alors on ne peut nier que le film est une réussite et parfaitement en phase avec son sujet.