On se replonge désormais dans le premier volet de Toy Story comme on le fait face aux films muets de Méliès, de Chaplin ou de Keaton : avec cette émotion singulière de contempler l’aube d’une ère nouvelle, ici celle du film d’animation numérique.
On sait la raison qui fit choisir à l’équipe Pixar des personnages de jouets comme protagonistes de ce premier long métrage : la facilité qu’ils confèrent à la modélisation, évitant tout ce qui fait aujourd’hui le défi des animateurs, à savoir le grain de peau, les cheveux ou les expressions humaines. De ce fait, c’est réellement une transition entre l’animation 2D et l’image de synthèse qui s’opère ici ; il suffit, pour s’en convaincre, de constater à quel point les personnages humains (les quelques enfants) ou animaux (le chien, particulièrement raté) pêchent encore, faute de technologie suffisamment avancée pour le domaine.
Il n’empêche que les innovations permises par cette liberté nouvelle sont légions. Dès le départ, c’est surtout sur la question du point de vue que se démarque la mise en scène : occultant le plus possible les humains, nous projetant dans la vision des jouets, l’image propose une dynamique nouvelle qui explore d’une nouvelle façon l’espace, rendu plus grand, plus vaste, à l’image de cette cage d’escalier, de ces fenêtres par lesquelles on rêve de prendre son envol.
Toy Story n’est pas exempt de défauts. Un peu maigre dans son développement narratif, il occasionne quelques longueurs, tant dans l’attente d’un élément perturbateur que dans le ventre mou qu’occasionne la séquestration chez le voisin d’en face. Son humour n’atteint pas toujours sa cible et la dynamique d’ensemble manque encore un peu d’équilibre.
Pour réellement l’apprécier, c’est au sens du détail qu’il faut être attentif : de l’exploitation des aptitudes ou handicaps propres à chaque jouet, et de la malice visuelle avec laquelle s’ourdit chacun de leurs plans. A ce titre, l’expédition de reconnaissance des soldats lors de l’anniversaire, au début, est exemplaire, rien n’étant laissé au hasard dans l’exploitation de l’espace, des objets et de leur potentiel spécifique, écho à l’évasion finale.
Au-delà de cette inventivité, la patte Pixar s’impose aussi par ce renversement des perspectives et la réflexion assez riche qui est menée sur la notion même de divertissement : il s’agit pour un jouet de prendre conscience de sa nature et de sa condition d’objet, prolongation des thématiques qu’on trouvait déjà dans E.T. et qui trouveront leur point d’orgue dans A.I. Au sein d’un film séminal pour un studio qui ne cessera de creuser cette question de la coulisse de l’enfance (qu’on pense évidemment à Toy Story 2 et 3, à la réflexion sur la peur dans Monstres & Cie, les émotions dans Vice-Versa…), les graines sont plantées, et annoncent les moissons d’un âge d’or.
(6.5/10)