Tre piani par Freddy Klein

La vie est ainsi faite. De hauts et de bas. De belles joies et de grandes peines. De drames et d'apaisements. On naît et on meurt, mais la vie s'obstine à s'inscrire dans les années qui passent et, après les jours sombres, le soleil revient, plus lumineux que jamais, et surtout il brille pour tout le monde, en tout cas pour ceux qui restent. Ecrire cela est d'une grande banalité et pourtant ne faut-il pas quelquefois le redire ?

Dans un immeuble à trois niveaux, "tre piani", plusieurs familles cohabitent en voisins sans histoires. Vittorio/Nanni Moretti et Dora/Marghareta Buy sont un couple de magistrats de l'ordre judiciaire. Lucio/Riccardo Scarmonica et Sara/Elena Lietty sont très occupés professionnellement et confient la garde de leur petite fille Francesca à un couple de retraités voisins. Giorgio/Adriano Giannini et Monica/Alba Rohrwacher sont un couple intermittent parce que Giorgio est contraint de s'absenter professionnellement pour de longues durées en laissant une épouse psychologiquement fragile s'occuper de leur fille Béatrice.

Deux évènements vont bouleverser la vie des habitants de l'immeuble. Andrea/ Allesandro Sperduti, en état d'ivresse, écrase une passante avant de s'encastrer dans le salon de l'appartement du rez-de-chaussée et sa voiture s'arrête, heureusement, aux pieds de Francesca. Un soir, après le travail, Lucio et Sara constatent que Francesca, qui était gardée par les retraités, a disparu avec papi Renato qui perd un peu la tête. Ils étaient sortis prendre l'air et se sont simplement perdus parce que Renato a des oublis. Le père les retrouve en pleine nuit sur un banc dans un jardin public du voisinage et il imagine dès lors le pire. Il ne voudra jamais en démordre.

Tre piani de Nanni Moretti fait penser à Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock avec une modification du point d'observation,mais davantage encore à Escalier C de Jean-Charles Tacchella. La vie se déroulera sur un temps long que nous découvrons de cinq ans en cinq ans pendant plus d'une décennie. Le film est une mosaïque de caractères, de tempéraments dans lesquels chacun de nous peut entrer en empathie selon sa propre sensibilité. Un thème fort traverse toutefois la vie des êtres que Nanni Moretti s'attache à nous montrer : le consentement sous diverses formes.

Vittorio est un homme d'une grande rigidité qui impose ses valeurs à toute sa famille. Dora consent, se soumet à l'édiction « c'est ainsi que nous vivons », alors qu' Andrea, le fils du couple, n'y consent pas, mais en est paralysé pour conduire sa vie et ne trouve l' apaisement qu'en consommant de l'alcool. Double consentement pour Dora qui accepte la terrible alternative entre perdre son mari ou rejeter définitivement son fils.

Lucio reste convaincu que le vieux Renato, qui ne se souvient de rien, et cela malgré les dires de la principale intéressée et malgré les investigations de la police, a agressé sexuellement sa fille. Il va jusqu'à agresser le vieil homme sur son lit d'hôpital puis se laisse séduire par une adolescente mineure, petite fille de Renato. Relation sexuelle consentie ou imposée ? Lucio trouve les mots pour convaincre de sa bonne foi, ces mêmes mots qu'il ne saura entendre dans la bouche de sa fille devenue jeune adulte que bien plus tard.

Monica de plus en plus fragilisée quitte sans prévenir le domicile après la naissance de son second enfant. Elle disparaît dans une sorte d'errance, puis donne de ses nouvelles pour revenir. Peut-être.
Tre piani de Nanni Moretti se termine comme il avait débuté. Le temps se découvre, le vent chasse les nuages qui s'étaient accumulés et le soleil brille à nouveau pour illuminer les vies. Toutes les vies.