Alors que dans Taxi Téhéran, Jafar Panahi exhibait délibérément la clandestinité de son cinéma par un dispositif de mise en scène itinérant, Trois visages propose quelques inflexions. Les problématiques resteront pourtant globalement les mêmes : le conservatisme d’un pays pourtant secoué par des élans de modernité, la place accordée aux femmes, et le statut délicat octroyé aux artisans de l’illusion, ici la télévision et le cinéma.
L’élément déclencheur du récit centralise ainsi toutes ces questions et joue du principe même de la liberté d’expression : soit une vidéo clandestine filmée par un téléphone, et qui restitue le suicide d’une jeune fille empêchée par ses parents de se consacrer aux études et à sa passion, à savoir le métier d’actrice. En se faisant le destinataire indirect de ce sulfureux document, envoyé à une célèbre actrice qui se tourne vers Panahi jouant donc son propre rôle, le cinéaste se place en témoin, puis enquêteur en partant à la recherche de la jeune femme.
Les premières séquences, restituées presque en temps réel, laissent entrevoir des pistes assez passionnantes, qui questionnent la nature même du film envoyé, son éventuel montage ou le canular qu’il pourrait servir. Alors que certaines ambiguïtés surgissent (la comédienne soupçonnant même Panahi de l’entrainer dans un tournage qui ne dirait pas son nom) le récit semble se diriger sur les voies troubles qu’on a pu voir emprunter par l’illustre ainé qu’est Kiarostami dans son Close Up.
Mais telle n’est pas, visiblement, la réelle intention du cinéaste. 3 visages est davantage un road movie qui multiplie les arrêts et ferait de l’immobilité contrainte un terrain propice à la conversation. Ainsi de nature même du voyage, une échappée angoissée qui interrompt le tournage de la comédienne star, mais permet simultanément au cinéaste assigné à résidence de générer une nouvelle œuvre, malgré les routes bloquées, la méfiance des patriarches ou le silence des confidentes. Au-delà de la dimension géographique, c’est aussi entre deux générations que Panahi se place : de celle qui le précède et qui fut ébranlé par la Révolution Islamiste, tandis que la jeune génération tend à de nouvelles revendications. Donnant la parole à l’ancienne qu’on exile et la nouvelle qu’on bâillonne.
En résulte un film qui, en dépit de sa durée, peut accuser certaines longueurs verbeuses, notamment dans son insistance à faire du sur-place – posture qui, on le sait, est autant choisie sur le plan de l’écriture qu’elle est subie par le cinéaste dans son quotidien. Mais par son empathie, sa tendresse et une forme discrète d’humour, Panahi parvient à garder son cap : celui de braquer sa caméra sur un débordement de vie qui transcende la censure, les générations, le sexe ou la réclusion.